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CHAPITRE LI.

L’ÉMEUTE SE FAIT RÉVOLTE.


lettrine Le cabinet où l’on avait fait entrer d’Artagnan et Porthos n’était séparé du salon où se trouvait la reine que par des portières de tapisserie. Le peu d’épaisseur de la séparation permettait donc d’entendre tout ce qui se passait, tandis que l’ouverture qui se trouvait entre les deux rideaux, si étroite qu’elle fût, permettait de voir. La reine était debout dans ce salon, pâle de colère ; mais cependant sa puissance sur elle-même était si grande qu’on eût dit qu’elle n’éprouvait aucune émotion. Derrière elle étaient Comminges, Villequier et Guitaut ; derrière les hommes les femmes. Devant elle, le chancelier Séguier, le même qui, vingt ans auparavant, l’avait si fort persécutée, racontait que son carosse venait d’être brisé, qu’il avait été poursuivi, qu’il s’était jeté dans l’Hôtel d’O ; que l’hôtel avait été aussitôt envahi, pillé, dévasté ; heureusement il avait eu le temps de gagner un cabinet perdu dans la tapisserie, où une vieille femme l’avait enfermé avec son frère, l’évêque de Meaux. Là, le danger avait été si réel, les forcenés s’étaient approchés de ce cabinet avec de telles menaces, que le chancelier avait cru que son heure était venue, et qu’il s’était confessé à son frère, afin d’être tout prêt à mourir s’il était découvert. Heureusement ne l’avait-il point été : le peuple, croyant qu’il s’était évadé par quelque porte de derrière, s’était retiré et lui avait laissé la retraite libre. Il s’était alors déguisé avec les habits du marquis d’O, et il était sorti de l’hôtel, enjambant par-dessus le corps de son exempt et de deux gardes qui avaient été tués en défendant la porte de la rue.

Pendant ce récit, Mazarin était entré, et sans bruit s’était glissé près de la reine et écoutait.

— Eh bien ! demanda la reine quand le chancelier eut fini, que pensez-vous