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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/38

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fait. Et M. d’Artagnan était un de ces quatre hommes, dites-vous ? — C’est lui qui a mené toute l’entreprise. — Et les autres, quels étaient-ils ? — Monseigneur, permettez que je laisse à M. d’Artagnan le soin de vous les nommer. C’étaient ses amis et non les miens ; lui seul aurait quelque influence sur eux, et je ne les connais même pas sous leurs véritables noms. — Vous vous défiez de moi, monsieur de Rochefort. Eh bien ! je veux être franc jusqu’au bout : j’ai besoin de vous, de lui, de tous. — Commençons par moi, monseigneur, puisque vous m’avez envoyé chercher et que me voilà ; puis vous passerez à eux. Vous ne vous étonnerez pas de ma curiosité : lorsqu’il y a cinq ans qu’on est en prison, on n’est pas fâché de savoir où l’on va vous envoyer. — Vous, mon cher monsieur de Rochefort, vous aurez le poste de confiance, vous irez à Vincennes où M. de Beaufort est prisonnier : vous me le garderez à vue. Eh bien ! qu’avez-vous donc ? — J’ai que vous me proposez là une chose impossible, dit Rochefort en secouant la tête d’un air désappointé. — Comment ! une chose impossible ? Et pourquoi cette chose est-elle impossible ? — Parce que M. de Beaufort est de mes amis, ou plutôt que je suis des siens. Avez-vous oublié, monseigneur, que c’est lui qui avait répondu de moi à la reine ? — M. de Beaufort, depuis ce temps-là, est l’ennemi de l’état. — Oui, monseigneur, c’est possible ; mais comme je ne suis ni roi, ni reine, ni ministre, il n’est pas mon ennemi, à moi, et je ne puis accepter ce que vous m’offrez. — Voilà ce que vous appelez du dévoûment ? je vous en félicite ! Votre dévoûment ne vous engage pas trop, monsieur de Rochefort. — Et puis, monseigneur, reprit Rochefort, vous comprendrez que sortir de la Bastille pour entrer à Vincennes, ce n’est que changer de prison. — Dites tout de suite que vous êtes du parti de M. de Beaufort, et ce sera plus franc de votre part. — Monseigneur, j’ai été si longtemps enfermé que je ne suis que d’un parti, c’est du parti du grand air. Employez-moi à tout autre chose, envoyez-moi en mission ; occupez-moi activement, mais sur les grands chemins, si c’est possible ! — Mon cher monsieur de Rochefort, dit Mazarin avec son air goguenard, votre zèle vous emporte ; vous vous croyez encore un jeune homme, parce que le cœur y est toujours ; mais les forces vous manqueraient. Croyez-moi donc, ce qu’il vous faut maintenant, c’est du repos… Holà ! quelqu’un ! — Vous ne statuez donc rien sur moi, monseigneur ? — Au contraire, j’ai statué.

Bernouin entra.

— Appelez un huissier, dit-il, et restez près de moi, ajouta-t-il tout bas.

Un huissier entra. Mazarin écrivit quelques mots qu’il remit à cet homme, puis salua de la tête.

— Adieu, monsieur de Rochefort, dit-il.

Rochefort s’inclina respectueusement.

— Je vois, monseigneur, dit-il, que l’on me reconduit à la Bastille. — Vous êtes intelligent. — J’y retourne, monseigneur, mais, je vous le répète, vous avez tort de ne pas savoir m’employer. — Vous ! l’ami de mes ennemis !… — Que voulez-vous ? il fallait me faire l’ennemi de vos ennemis. — Pensez-vous qu’il n’y ait que vous seul, monsieur de Rochefort ? Croyez-moi, j’en trouverai qui vous vaudront. — Je vous le souhaite, monseigneur. — C’est bien. Allez, allez !…… À propos, il est inutile que vous m’écriviez davantage, monsieur de Rochefort, vos lettres seraient des lettres perdues. — J’ai tiré les marrons du feu, murmura Rochefort