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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/382

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CHAPITRE LII.

LE MALHEUR DONNE DE LA MÉMOIRE.


lettrine Anne était rentrée furieuse dans son oratoire.

— Quoi ! s’écriait-elle en tordant ses beaux bras, quoi ! le peuple a vu M. de Condé, le premier prince du sang, arrêté par ma belle-mère, Marie de Médicis ; il a vu ma belle-mère, son ancienne régente, chassée par le cardinal ; il a vu M. de Vendôme, c’est-à-dire le fils de Henri IV, prisonnier à Vincennes ; il n’a rien dit tandis qu’on insultait, qu’on incarcérait, qu’on menaçait ces grands personnages ! et pour un Broussel ! Jésus ! qu’est donc devenue la royauté ?

Anne touchait sans y penser à la question brûlante. Le peuple n’avait rien dit pour les princes, le peuple se soulevait pour Broussel : c’est qu’il s’agissait d’un plébéien, et qu’en défendant Broussel le peuple sentait instinctivement qu’il se défendait lui-même.

Pendant ce temps Mazarin se promenait de long en large dans son cabinet, regardant de temps en temps sa belle glace de Venise tout étoilée :

— Eh ! disait-il, c’est triste, je le sais bien, d’être forcé de céder ainsi ; mais bah ! nous prendrons notre revanche ; qu’importe Broussel ? c’est un nom, ce n’est pas une chose.

Si habile politique qu’il fût, Mazarin se trompait cette fois : Broussel était une chose et non pas un nom.

Aussi, lorsque le lendemain matin Broussel fit son entrée à Paris dans un grand carosse, ayant son fils Louvières à côté de lui, et Friquet derrière la voiture, tout le peuple en armes se précipita-t-il sur son passage ; les cris de Vive Broussel ! Vive notre père ! retentissaient de toutes parts et portaient la mort aux oreilles de Mazarin ; de tous les côtés les espions du cardinal et de la reine rapportaient de fâcheuses nouvelles, qui trouvaient le ministre fort agité et la reine