Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/383

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fort tranquille ; la reine paraissait mûrir dans sa tête une grande résolution, ce qui redoublait les inquiétudes de Mazarin. Il connaissait l’orgueilleuse princesse et craignait fort les résolutions d’Anne d’Autriche.

Le coadjuteur était rentré au parlement plus roi que le roi, la reine et le cardinal ne l’étaient à eux trois ensemble. Sur son avis, un édit du parlement avait invité les bourgeois à déposer leurs armes et à démolir les barricades ; ils savaient maintenant qu’il ne fallait qu’une heure pour reprendre les armes et qu’une nuit pour refaire les barricades. Planchet était rentré dans sa boutique ; la victoire amnistie : Planchet n’avait donc plus peur d’être pendu, il était convaincu que, si l’on faisait seulement mine de l’arrêter, le peuple se soulèverait pour lui comme il venait de le faire pour Broussel. Rochefort avait rendu ses chevau-légers au chevalier d’Humières ; il en manquait bien deux à l’appel ; mais le chevalier, qui était frondeur dans l’âme, n’avait pas voulu entendre parler de dédommagement.

Le mendiant avait repris sa place au parvis Saint-Eustache, distribuant toujours son eau bénite d’une main et demandant l’aumône de l’autre, et nul ne se doutait que ces deux mains-là venaient d’aider à tirer de l’édifice social la pierre fondamentale de la royauté.

Louvières était fier et content, il s’était vengé du Mazarin, qu’il détestait, et avait fort contribué à faire sortir son père de prison ; son nom avait été répété avec terreur au Palais-Royal, et il disait en riant au conseiller réintégré dans sa famille :

— Croyez-vous, mon père, que si maintenant je demandais une compagnie à la reine, elle me la donnerait ?

D’Artagnan avait profité du moment de calme pour renvoyer Raoul, qu’il avait eu grand’peine à retenir enfermé pendant l’émeute, et qui voulait absolument tirer l’épée, pour l’un ou l’autre parti. Raoul avait fait quelque difficulté d’abord, mais d’Artagnan avait parlé au nom du comte de la Fère. Raoul avait été faire une visite à Mme  de Chevreuse et était parti pour rejoindre l’armée.

Rochefort seul trouvait la chose assez mal terminée ; il avait écrit à M. le duc de Beaufort de venir ; le duc allait arriver et trouverait Paris tranquille. Il alla trouver le coadjuteur, pour lui demander s’il ne fallait pas donner avis au prince de s’arrêter en route ; mais Gondy y réfléchit un instant et dit :

— Laissez-le continuer son chemin.

— Mais ce n’est donc pas fini ? demanda Rochefort.

— Non ! mon cher comte, nous ne sommes encore qu’au commencement.

— Qui vous fait croire cela ?

— La connaissance que j’ai du cœur de la reine : elle ne voudra pas demeurer battue.

— Prépare-t-elle donc quelque chose ?

— Je l’espère.

— Que savez-vous, voyons ?

— Je sais qu’elle a écrit à M. le Prince de revenir de l’armée en toute hâte.

— Ah ! ah ! dit Rochefort, vous avez raison, il faut laisser venir M. de Beaufort.

Le soir même de cette conversation, le bruit se répandit que M. le Prince était arrivé. C’était une nouvelle bien simple et bien naturelle, et cependant elle eut un immense retentissement ; des indiscrétions, disait-on, avaient été commises par Mme  de Longueville, à qui M. le Prince, qu’on accusait d’avoir pour sa sœur une tendresse qui dépassait les bornes de l’amitié fraternelle, avait fait des confidences. Ces confidences dévoilaient de sinistres projets de la part de la reine.