Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/385

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cerné, assiégé, affamé, n’ayant plus pour toute ressource que son stupide parlement et son maigre coadjuteur aux jambes torses !

— Joli ! joli ! dit Mazarin, je comprends l’effet, mais je ne vois pas le moyen d’y arriver.

— Je le trouverai, moi !

— Vous savez que c’est la guerre, la guerre civile, ardente, acharnée, implacable.

— Oh ! oui, oui, la guerre, dit Anne d’Autriche ; oui, je veux réduire cette ville rebelle en cendres ; je veux éteindre le feu dans le sang ; je veux qu’un exemple effroyable éternise le crime et le châtiment. Paris ! je le hais, je le déteste !

— Tout beau, Anne, vous voilà sanguinaire ! prenez garde, nous ne sommes pas au temps des Malatesta et des Castrucco Castracani ; vous vous ferez décapiter, ma belle reine, et ce serait dommage.

— Vous riez, Giulio.

— Je ris très peu, madame, la guerre est dangereuse avec tout un peuple ; voyez votre frère Charles Ier, il est mal, très mal.

— Nous sommes en France, et je suis Espagnole.

— Tant pis, per Bacco, tant pis, j’aimerais mieux que vous fussiez Française, et moi aussi : on nous détesterait moins tous les deux.

— Cependant vous m’approuvez ?

— Oui, si je vois la chose possible.

— Elle l’est, c’est moi qui vous le dis, faites vos préparatifs de départ.

— Moi ! je suis toujours prêt à partir ; seulement, vous le savez, je ne pars jamais… et cette fois, probablement, pas plus que les autres.

— Enfin, si je pars, partirez-vous ?

— J’essaierai.

— Vous me faites mourir, avec vos peurs, Giulio ; et de quoi donc avez-vous peur ?

— De beaucoup de choses.

— Desquelles ?

La physionomie de Mazarin, de railleuse qu’elle était, devint sombre.

— Anne, dit-il, vous n’êtes qu’une femme, et, comme femme, vous pouvez insulter à votre aise les hommes, sûre que vous êtes de l’impunité : vous m’accusez d’avoir peur ; je n’ai pas tant peur que vous, puisque je ne me sauve pas, moi. Contre qui crie-t-on ? est-ce contre vous ou contre moi ? Qui veut-on pendre ? est-ce vous ou moi ? Eh bien, je fais tête à l’orage, moi, cependant, que vous accusez d’avoir peur, non pas en bravache, ce n’est point ma mode, mais je tiens. Imitez-moi ; pas tant d’éclat, plus d’effet. Vous criez très haut, vous n’aboutissez à rien. Vous parlez de fuir !… Mazarin haussa les épaules, prit la main de la reine et la conduisit à la fenêtre :

— Regardez !

— Eh bien ? dit la reine aveuglée par son entêtement.

— Eh bien, que voyez-vous de cette fenêtre ? Ce sont, si je ne m’abuse, des bourgeois cuirassés, casqués, armés de bons mousquets, comme au temps de la Ligue, et qui regardent si bien la fenêtre d’où vous les regardez, vous, que vous allez être vue si vous soulevez si fort le rideau. Maintenant venez à cette autre : que voyez-vous ? Des gens du peuple armés de hallebardes qui gardent vos portes. À chaque ouverture de ce palais où je vous conduirais, vous en verriez autant ; vos portes sont gardées ; les soupiraux de vos caves sont gardés, et je vous dirai à mon tour ce que ce bon la Ramée me disait de M. de Beaufort : À moins d’être oiseau ou souris, vous ne sortirez pas.

— Il est cependant sorti, lui.

— Comptez-vous sortir de la même manière ?

— Je suis donc prisonnière alors ?

— Parbleu ! dit Mazarin, il y a une heure que je vous le prouve.

Et Mazarin reprit tranquillement sa dépêche commencée, à l’endroit où il l’avait interrompue. Anne, tremblante de colère, rouge d’humiliation, sortit du cabinet en repoussant derrière elle la porte avec violence. Mazarin ne tourna pas même la tête.