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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/388

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que sa grandeur future devait causer à autrui.

— Si c’est un piége, reprit d’Artagnan, je le flairerai, sois tranquille. Si le Mazarin est Italien, je suis Gascon, moi.

Et d’Artagnan s’habilla en un tour de main.

Comme Porthos, toujours couché, lui agrafait son manteau, on frappa une seconde fois à la porte.

— Entrez, dit d’Artagnan.

Un second valet entra.

— De la part de Son Éminence le cardinal Mazarin, dit-il.

D’Artagnan regarda Porthos.

— Voilà qui se complique, dit Porthos. Par où commencer ?

— Cela tombe à merveille, dit d’Artagnan ; Son Éminence me donne rendez-vous dans une demi-heure… Mon ami, dit d’Artagnan se retournant vers le valet, dites à Son Éminence que dans une demi-heure je suis à ses ordres.

Le valet salua et sortit.

— C’est bien heureux qu’il n’ait pas vu l’autre, reprit d’Artagnan.

— Tu crois donc qu’ils ne t’envoient pas chercher tous deux pour la même chose ?

— Je ne le crois pas, j’en suis sûr.

— Allons, allons, d’Artagnan, alerte ! Songe que la reine t’attend. Après la reine, le cardinal ; et après le cardinal, moi.

D’Artagnan rappela le valet d’Anne d’Autriche.

— Me voilà, mon ami, dit-il, conduisez-moi.

Le valet le conduisit par la rue des Petits-Champs, et, tournant à gauche, le fit entrer par la petite porte du jardin qui donnait sur la rue de Richelieu, puis on gagna un escalier dérobé, et d’Artagnan fut introduit dans l’oratoire.

Une certaine émotion dont il ne pouvait se rendre compte faisait battre le cœur du lieutenant ; il n’avait plus la confiance de la jeunesse, et l’expérience lui avait appris toute la gravité des évènements passés. Il savait ce que c’était que la noblesse des princes et la majesté des rois ; il s’était habitué à classer sa médiocrité après les illustrations de la fortune et de la naissance. Jadis il eût abordé Anne d’Autriche en jeune homme qui salue une femme. Aujourd’hui c’était autre chose : il se rendait près d’elle comme un humble soldat près d’un illustre chef.

Un léger bruit troubla le silence de l’oratoire. D’Artagnan tressaillit et vit une blanche main soulever la tapisserie, et à sa forme, à sa blancheur, à sa beauté, il reconnut cette main royale qu’un jour on lui avait donnée à baiser. La reine entra.

— C’est vous, monsieur d’Artagnan, dit-elle en arrêtant sur l’officier un regard plein d’affectueuse mélancolie ; c’est vous, et je vous reconnais bien. Regardez-moi à votre tour, je suis la reine ; me reconnaissez-vous ?

— Non, madame, répondit d’Artagnan.

— Mais ne savez-vous donc plus, continua Anne d’Autriche avec cet accent délicieux qu’elle savait, lorsqu’elle le voulait, donner à sa voix, que la reine a eu besoin d’un jeune cavalier brave et dévoué, qu’elle a trouvé ce cavalier, et que, quoiqu’il ait pu croire qu’elle l’avait oublié, elle lui a gardé une place au fond de son cœur ?

— Non, madame, j’ignore cela, dit le mousquetaire.

— Tant pis, monsieur, dit Anne d’Autriche, tant pis, pour la reine du moins, car la reine aujourd’hui a besoin de ce même courage et de ce même dévoûment.

— Eh quoi ! dit d’Artagnan, la reine, entourée comme elle