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Il s’arrêta.

— Expliquez-vous, monseigneur ; j’attends.

— La reine a résolu avec le roi de faire un petit voyage à Saint-Germain.

— Ah ! ah ! dit d’Artagnan, c’est-à-dire que la reine veut quitter Paris.

— Vous comprenez, caprice de femme.

— Oui, je comprends très bien, dit d’Artagnan. C’était pour cela qu’elle vous avait fait venir ce matin, et qu’elle vous a dit de revenir à cinq heures.

— C’était bien la peine de vouloir me faire jurer que je ne parlerais de ce rendez-vous à personne ! murmura d’Artagnan. Oh ! les femmes ! fussent-elles reines, elles sont toujours femmes.

— Désapprouveriez-vous ce petit voyage, mon cher monsou d’Artagnan ? demanda Mazarin avec inquiétude.

— Moi, monseigneur ? dit d’Artagnan, et pourquoi cela ?

— Parce que vous haussez les épaules.

— C’est une façon de me parler à moi-même, Monseigneur.

— Ainsi vous approuvez ce voyage ?

— Je n’approuve pas plus que je ne désapprouve, monseigneur, j’attends vos ordres.

— Bien. C’est donc sur vous que j’ai jeté les yeux pour porter le roi et la reine à Saint-Germain.

— Double fourbe ! dit en lui-même d’Artagnan.

— Vous voyez bien, reprit Mazarin, voyant l’impassibilité de d’Artagnan, que, comme je vous le disais, le salut de l’état va reposer entre vos mains.

— Oui, monseigneur, et je sens toute la responsabilité d’une pareille charge.

— Vous acceptez, cependant ?

— J’accepte toujours.

— Vous croyez la chose possible ?

— Tout l’est.

— Serez-vous attaqué en chemin ?

— C’est probable.

— Mais comment ferez-vous en ce cas ?

— Je passerai à travers ceux qui m’attaqueront.

— Et si vous ne passez pas à travers ?

— Alors, tant pis pour eux, car je passerai dessus.

— Et vous rendrez le roi et la reine sains et saufs à Saint-Germain ?

— Oui.

— Sur votre vie ?

— Sur ma vie.

— Vous êtes un héros, mon cher ! dit Mazarin en regardant le mousquetaire avec admiration.

D’Artagnan sourit.

— Et moi ? dit Mazarin après un moment de silence et en regardant fixement d’Artagnan.

— Comment, et vous, monseigneur ?

— Et moi, si je veux partir ?

— Ce sera plus difficile.

— Comment cela ?

— Votre Éminence peut être reconnue.

— Même sous ce déguisement ? dit Mazarin.

Et il leva un manteau qui couvrait un fauteuil sur lequel était un habit complet de cavalier, gris perle et grenat, tout passementé d’argent.

— Si Votre Éminence se déguise, cela devient plus facile.

— Ah ! fit Mazarin en respirant.

— Mais il faudra faire ce que Votre Éminence disait l’autre jour qu’elle eût fait à notre place.

— Que faudra-t-il faire ?

— Crier À bas Mazarin.

— Je crierai.

— En français, en bon français, monseigneur, prenez garde à l’accent ; on nous a tué six mille Angevins en Sicile parce qu’ils prononçaient mal l’italien. Prenez garde que les Français ne prennent sur vous leur revanche des Vêpres Siciliennes.

— Je ferai de mon mieux.

— Il y a bien des gens armés dans les rues, continua d’Artagnan ; êtes-vous sûr que personne ne connaît le projet de la reine ?

Mazarin réfléchit.

— Ce serait une belle affaire pour un traître, monseigneur, que l’affaire que vous me proposez là ; les hasards d’une attaque excuseraient tout.

Mazarin frissonna ; mais il réfléchit qu’un homme qui aurait l’intention de trahir ne préviendrait pas.