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des bandits qu’à autre chose : c’étaient les hommes du mendiant de Saint-Eustache.

— Attention, Porthos, dit d’Artagnan.

Porthos allongea la main vers ses pistolets.

— Qu’y a-t-il ? dit Mazarin.

— Monseigneur, je crois que nous sommes en mauvaise compagnie.

Un homme s’avança à la portière avec une espèce de faulx à la main.

— Qui vive ? demanda cet homme.

— Eh ! drôle ! dit d’Artagnan, ne reconnaissez-vous pas le carosse de M. le Prince ?

— Prince ou non, dit cet homme, ouvrez ! nous avons la garde de la porte, et personne ne passera que nous ne sachions qui passe.

— Que faut-il faire ? demanda Porthos.

— Pardieu ! passer, dit d’Artagnan.

— Mais comment passer ? dit Mazarin.

— À travers, ou dessus. Cocher, au galop !

Le cocher leva son fouet.

— Pas un pas de plus, dit l’homme qui paraissait le chef, ou je coupe le jarret à vos chevaux.

— Peste ! dit Porthos, ce serait dommage, des bêtes qui me coûtent cent pistoles pièce.

— Je vous les paierai deux cents, dit Mazarin.

— Oui, mais, quand ils auront les jarrets coupés, on nous coupera le cou à nous, dit d’Artagnan.

— Il en vient un de mon côté, dit Porthos ; faut-il que je le tue ?

— Oui, d’un coup de poing si vous pouvez ; ne faisons feu qu’à la dernière extrémité.

— Je le puis, dit Porthos.

— Venez ouvrir alors, dit d’Artagnan à l’homme à la faulx, en prenant un de ses pistolets par le canon et en s’apprêtant à frapper de la crosse.

Celui-ci s’approcha… À mesure qu’il s’approchait, d’Artagnan, pour être plus libre de ses mouvements, sortait à demi par la portière ; ses yeux s’arrêtèrent sur ceux du mendiant, qu’éclairait la lueur d’une lanterne.

Sans doute cet homme reconnut le mousquetaire, car il devint fort pâle ; sans doute d’Artagnan le reconnut, car ses cheveux se dressèrent sur sa tête.

— Monsieur d’Artagnan ! s’écria-t-il en reculant d’un pas, monsieur d’Artagnan ! laissez passer.

Peut-être d’Artagnan allait-il répondre de son côté, lorsqu’un coup pareil à celui d’une masse qui tombe sur la tête d’un bœuf retentit : c’était Porthos qui venait d’assommer son homme…

D’Artagnan se retourna et vit le malheureux gisant à quatre pas de là.

— Ventre à terre, maintenant ! cria-t-il au cocher ; pique, pique !

Le cocher enveloppa ses chevaux d’un large coup de fouet. Les nobles animaux bondirent. On entendit des cris comme ceux d’hommes qui sont renversés. Puis on sentit une double secousse : deux des roues venaient de passer sur un corps flexible et rond.

Il se fit un moment de silence. La voiture franchit la porte.

— Au Cours-la-Reine ! cria d’Artagnan au cocher.

Puis, se retournant vers Mazarin :

— Maintenant, monseigneur, lui dit-il, vous pouvez dire cinq Pater et cinq Ave pour remercier Dieu de votre délivrance. Vous êtes sauvé ! vous êtes libre !

Mazarin ne répondit que par une espèce de gémissement ; il ne pouvait croire