CHAPITRE IV.
ANNE D’AUTRICHE À QUARANTE-SIX ANS.
esté seul avec Bernouin, Mazarin demeura
un instant pensif ; il en savait beaucoup et
cependant il n’en savait pas encore assez.
Mazarin était tricheur au jeu ; c’est un détail
que nous a conservé Brienne : il appelait
cela prendre ses avantages. Il résolut
de n’entamer la partie avec d’Artagnan que
lorsqu’il connaîtrait bien toutes les cartes
de son adversaire.
— Monseigneur n’ordonne rien ? demanda Bernouin.
— Si fait, répondit Mazarin ; éclaire-moi, je vais chez la reine.
Bernouin prit un bougeoir et marcha le premier.
Il y avait un passage secret qui aboutissait des appartements et du cabinet de Mazarin aux appartements de la reine ; c’était par ce corridor que passait le cardinal pour se rendre à toute heure auprès d’Anne d’Autriche[1].
En arrivant dans la chambre à coucher où donnait ce passage, Bernouin rencontra Mme Beauvais. Mme Beauvais et Bernouin étaient les confidents intimes de ces amours surannées, et Mme Beauvais se chargea d’annoncer le cardinal à Anne d’Autriche, qui était dans son oratoire avec le jeune roi Louis XIV.
Anne d’Autriche, assise dans un grand fauteuil, le coude appuyé sur une table et la tête appuyée sur sa main, regardait l’enfant royal, qui, couché sur le tapis, feuilletait un grand livre de batailles. Anne d’Autriche était la reine qui savait le mieux s’ennuyer avec majesté ; elle restait quelquefois des heures ainsi retirée dans sa chambre ou dans son oratoire sans lire ni prier. Quant au
- ↑ Le chemin par lequel le cardinal se rendait chez la reine mère se voit encore au Palais-Royal. (Mémoires de la princesse palatine, page 331.)