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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/401

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ture. Il crut que M. le coadjuteur en avait disposé, sauta à bas du siége sans lâcher les rênes et vint ouvrir.

D’Artagnan sauta à son tour à terre, et au moment où le cocher, effrayé en ne reconnaissant pas son maître, faisait un pas en arrière, il le saisit au collet de la main gauche, et de la droite lui mit un pistolet sur la gorge :

— Essaye de prononcer un seul mot, dit d’Artagnan, et tu es mort !

Le cocher vit à l’expression du visage de celui qui lui parlait qu’il était tombé dans un guet-apens, et il resta la bouche béante et les yeux démesurément ouverts… Deux mousquetaires se promenaient dans la cour ; d’Artagnan les appela par leur nom.

— Monsieur de Bellièvre, dit-il à l’un, faites-moi le plaisir de prendre les rênes des mains de ce brave homme, de monter sur le siége de la voiture, de la conduire à la porte de l’escalier dérobé et de m’attendre là : c’est pour affaire d’importance et qui tient au service du roi.

Le mousquetaire, qui savait son lieutenant incapable de faire une mauvaise plaisanterie à l’endroit du service, obéit sans dire un mot, quoique l’ordre lui parût singulier.

Alors se retournant vers le second mousquetaire :

— M. du Verger, dit-il, aidez-moi à conduire cet homme en lieu de sûreté.

Le mousquetaire crut que son lieutenant venait d’arrêter quelque prince déguisé, s’inclina, et tirant son épée, fit signe qu’il était prêt. D’Artagnan monta l’escalier suivi de son prisonnier, qui était suivi lui-même du mousquetaire, traversa le vestibule et entra dans l’antichambre de Mazarin. Bernouin attendait avec impatience des nouvelles de son maître.

— Eh bien, monsieur ? dit-il.

— Tout va à merveille, mon cher monsieur Bernouin ; mais voici, s’il vous plaît, un homme qu’il vous faudrait mettre en lieu de sûreté…

— Où cela, monsieur ?

— Où vous voudrez, pourvu que l’endroit que vous choisirez ait des volets qui ferment au cadenas et une porte qui ferme à la clé.

— Nous avons cela, monsieur, dit Bernouin.

Et l’on conduisit le pauvre cocher dans un cabinet dont les fenêtres étaient grillées et qui ressemblait fort à une prison.

— Maintenant, mon cher ami, je vous invite, dit d’Artagnan, à vous défaire en ma faveur de votre chapeau et de votre manteau.

Le cocher, comme on le comprend bien, ne fit aucune résistance ; d’ailleurs, il était si étonné de ce qui lui arrivait qu’il chancelait et balbutiait comme un homme ivre. D’Artagnan mit le tout sous le bras du valet de chambre.

— Maintenant, monsieur du Verger, dit d’Artagnan, enfermez-vous avec cet homme jusqu’à ce que M. Bernouin vienne vous ouvrir la porte ; la faction sera passablement longue et fort peu amusante, je le sais, mais vous comprenez, ajouta-t-il gravement : Service du roi.

— À vos ordres, mon lieutenant, répondit le mousquetaire, qui vit qu’il s’agissait de choses sérieuses.

— À propos, dit d’Artagnan, si cet homme essaie de fuir ou de crier, passez-lui votre épée au travers du corps.

Le mousquetaire fit un signe de tête qui voulait dire qu’il obéirait ponctuellement à la consigne. D’Artagnan sortit, emmenant Bernouin avec lui. Minuit sonnait.