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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/403

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Minuit sonnait… Cinq minutes après, Bernouin frappait à la chambre à coucher de la reine, venant par le passage secret du cardinal.

Anne d’Autriche alla ouvrir elle-même. Elle était déjà habillée, c’est-à-dire qu’elle avait remis ses bas et s’était enveloppée d’un long peignoir.

— C’est vous, Bernouin ? dit-elle. M. d’Artagnan est-il là ?

— Oui, madame, dans votre oratoire, il attend que Votre Majesté soit prête.

— Je le suis. Allez dire à Laporte d’éveiller et d’habiller le roi, puis de là passez chez le maréchal de Villeroy et prévenez-le de ma part.

Bernouin s’inclina et sortit… La reine entra dans son oratoire, qu’éclairait une simple lampe en verroterie de Venise. Elle vit d’Artagnan debout, et qui l’attendait.

— C’est vous ? lui dit-elle.

— Oui, madame.

— Vous êtes prêt ?

— Je le suis.

— Et M. le cardinal ?

— Est sorti sans accident ; il attend Votre Majesté au Cours-la-Reine.

— Mais dans quelle voiture partons-nous ?

— J’ai tout prévu, un carosse attend en bas Votre Majesté.

— Passons chez le roi.

D’Artagnan s’inclina et suivit la reine… Le jeune Louis était déjà habillé, à l’exception des souliers et du pourpoint ; il se laissait faire d’un air étonné, en accablant de questions Laporte, qui ne lui répondait que ces paroles :

— Sire, c’est par l’ordre de la reine.

Le lit était découvert, et l’on voyait les draps du roi tellement usés qu’en certains endroits il y avait des trous. C’était encore un des effets de la lésinerie de Mazarin.

La reine entra et d’Artagnan se tint sur le seuil. L’enfant, en apercevant la reine, s’échappa des mains de Laporte et courut à elle.

La reine fit signe à d’Artagnan de s’approcher… D’Artagnan obéit.

— Mon fils, dit Anne d’Autriche, en lui montrant le mousquetaire calme, debout et découvert, voici M. d’Artagnan, qui est brave comme un de ces anciens preux dont vous aimez tant que mes femmes vous racontent l’histoire. Rappelez-vous bien son nom, et regardez-le bien, pour ne pas oublier son visage, car ce soir il nous rendra un grand service.

Le jeune roi regarda l’officier de son grand œil fier et répéta :

— M. d’Artagnan.

— C’est cela, mon fils.

Le jeune roi leva lentement sa petite main et la tendit au mousquetaire ; celui-ci mit un genou en terre et la baisa.

— M. d’Artagnan, répéta Louis : c’est bien, madame.

En ce moment on entendit comme une rumeur qui s’approchait.

— Qu’est-ce que cela ? dit la reine.

— Oh ! oh ! répondit d’Artagnan en tendant tout à la fois son oreille fine et son regard intelligent, c’est le bruit du peuple qui s’émeut.

— Il faut fuir, dit la reine.

— Votre Majesté m’a donné la direction de cette affaire ; il faut rester et savoir ce qu’il veut.

— Monsieur d’Artagnan !

— Je réponds de tout.

Rien ne se communique plus rapidement que la confiance. La reine, pleine de force et de courage, sentait au plus haut degré ces deux vertus chez les autres.

— Faites, dit-elle, je m’en rapporte à vous.

— Votre Majesté veut-elle me per-