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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/405

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Royal annoncer au peuple qu’il va être satisfait et que, dans cinq minutes, non seulement il verra le roi, mais encore qu’il le verra dans son lit ; ajoutez que le roi dort et que la reine prie que l’on fasse silence pour ne point le réveiller.

— Mais pas tout le monde, dit la reine, une députation de deux ou quatre personnes.

— Tout le monde, madame.

— Mais ils nous tiendront jusqu’au jour, songez-y.

— Nous en aurons pour un quart d’heure. Je réponds de tout, madame ; croyez-moi, je connais le peuple, c’est un grand enfant qu’il ne s’agit que de caresser ; devant le roi endormi, il sera muet, doux et timide comme un agneau.

— Allez, Laporte, dit la reine.

Le jeune roi se rapprocha de sa mère.

— Pourquoi faire ce que ces gens demandent ? dit-il.

— Il le faut, mon fils, dit Anne d’Autriche.

— Mais alors, si on me dit il le faut, je ne suis donc plus roi ?

La reine resta muette.

— Sire, dit d’Artagnan, Votre Majesté me permettra-t-elle de lui faire une question ?

Louis XIV se retourna, étonné qu’on osât lui adresser la parole ; la reine serra la main de l’enfant.

— Oui, monsieur, dit-il.

— Votre Majesté se rappelle-t-elle avoir, lorsqu’elle jouait dans le parc de Fontainebleau ou dans les cours du palais de Versailles, vu tout à coup le ciel se couvrir et entendu le bruit du tonnerre ?

— Oui, sans doute.

— Eh bien ! ce bruit du tonnerre, si bonne envie que Votre Majesté eût encore de jouer, lui disait : « Rentrez, sire, il le faut. »

— Sans doute, monsieur, mais aussi l’on m’a dit que le bruit du tonnerre, c’était la voix de Dieu.

— Eh bien ! sire, dit d’Artagnan, écoutez le bruit du peuple, et vous verrez que cela ressemble beaucoup à celui du tonnerre.

En effet, en ce moment une rumeur terrible passait emportée par la brise de la nuit… Tout à coup elle cessa.

— Tenez, sire, dit d’Artagnan, on vient de dire au peuple que vous dormiez ; vous voyez bien que vous êtes toujours roi.

La reine regardait avec étonnement cet homme étrange que son courage éclatant faisait l’égal des plus braves, que son esprit fin et rusé faisait l’égal de tous.

Laporte rentra.

— Eh bien, Laporte ? demanda la reine.

— Madame, répondit-il, la prédiction de M. d’Artagnan s’est accomplie, ils se sont calmés comme par enchantement. On va leur ouvrir les portes, et dans cinq minutes ils seront ici.

— Laporte, dit la reine, si vous leur mettiez un de vos fils à la place du roi ? nous partirions pendant ce temps.

— Si Sa Majesté l’ordonne, dit Laporte, mes fils, comme moi, sont au service de la reine.

— Non pas, dit d’Artagnan, car si l’un d’eux connaissait Sa Majesté et s’apercevait du subterfuge, tout serait perdu.

— Vous avez raison, monsieur, toujours raison, dit Anne d’Autriche. Laporte, couchez le roi.