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possession de deux cent dix-neuf louis gagnés en un quart d’heure, quand une voix retentit à la porte de la salle et le fit bondir.

— Monsieur d’Artagnan ! criait-elle, monsieur d’Artagnan !

— Ici, dit Porthos, ici !

Porthos comprenait que si d’Artagnan s’en allait, le lit lui resterait à lui tout seul.

Un officier s’approcha. D’Artagnan se souleva sur son coude.

— C’est vous qui êtes monsieur d’Artagnan ? dit-il.

— Oui, monsieur. Que me voulez-vous ?

— Je viens vous chercher.

— De quelle part ?

— De la part de Son Éminence.

— Dites à monseigneur que je vais dormir et que je lui conseille d’en faire autant.

— Son Éminence ne s’est pas couchée et ne se couchera pas, et elle vous demande à l’instant même.

— La peste étouffe le Mazarin, qui ne sait pas dormir à propos ! murmura d’Artagnan. Que me veut-il ? Est-ce pour me faire capitaine ? En ce cas je lui pardonne.

Et le mousquetaire se leva tout en grommelant, prit son épée, son chapeau, ses pistolets et son manteau, puis suivit l’officier, tandis que Porthos, resté seul et unique possesseur du lit, essayait d’imiter les belles dispositions de son ami.

— Monsou d’Artagnan, dit le cardinal en apercevant celui qu’il venait d’envoyer chercher si mal à propos, je n’ai point oublié avec quel zèle vous m’avez servi, et je vais vous en donner une preuve.

— Bon ! pensa d’Artagnan, cela s’annonce bien.

Mazarin regardait le mousquetaire et vit sa figure s’épanouir.

— Ah ! monseigneur…

— Monsieur d’Artagnan, dit-il, avez-vous bien envie d’être capitaine ?

— Oui, monseigneur.

— Et votre ami désire-t-il toujours être baron ?

— En ce moment-ci, monseigneur, il rêve qu’il l’est !

— Alors, dit Mazarin tirant d’un portefeuille la lettre qu’il avait déjà montrée à d’Artagnan, prenez cette dépêche et portez-la en Angleterre.

D’Artagnan regarda l’enveloppe ; il n’y avait point d’adresse.

— Ne puis-je savoir à qui je dois la remettre ?

— En arrivant à Londres, vous le saurez ; à Londres seulement vous déchirerez la double enveloppe.

— Et quelles sont mes instructions ?

— D’obéir en tout point à celui à qui cette lettre est adressée.

D’Artagnan allait faire de nouvelles questions, lorsque Mazarin ajouta :

— Vous partez pour Boulogne, vous trouverez, aux Armes d’Angleterre, un jeune gentilhomme nommé M. Mordaunt.

— Oui, monseigneur, et que dois-je faire de ce gentilhomme ?

— Le suivre jusqu’où il vous mènera.

D’Artagnan regarda le cardinal d’un air stupéfait.

— Vous voilà renseigné, dit Mazarin ; allez !

— Allez, c’est bien facile à dire, reprit d’Artagnan, mais pour aller il faut de l’argent et je n’en ai pas.

— Ah ! dit Mazarin en se grattant l’oreille, vous dites que vous n’avez pas d’argent ?

— Non, monseigneur.

— Mais ce diamant que je vous donnai hier soir ?

— Je désire le conserver comme un souvenir de Votre Éminence.

Mazarin soupira.

— Il fait cher vivre en Angleterre, monseigneur, et surtout comme envoyé