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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/417

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extraordinaire.

— Hein ! fit Mazarin, c’est un pays fort sobre et qui vit de simplicité depuis la révolution, mais n’importe.

Il ouvrit un tiroir et prit une bourse.

— Que dites-vous de ces mille écus ?

D’Artagnan avança la lèvre inférieure d’une façon démesurée.

— Je dis, monseigneur, que c’est peu, car je ne partirai certainement pas seul.

— J’y compte bien, répondit Mazarin, M. du Vallon vous accompagnera, le digne gentilhomme ; car, après vous, mon cher monsou d’Artagnan, c’est bien certainement l’homme de France que j’aime et estime le plus.

— Alors, monseigneur, dit d’Artagnan en montrant la bourse que Mazarin n’avait point lâchée, alors, si vous l’aimez et l’estimez tant, vous comprenez…

— Soit ! à sa considération, j’ajouterai deux cents écus.

— Ladre ! murmura d’Artagnan ; mais à notre retour, au moins, ajouta-t-il tout haut, nous pourrons compter, n’est-ce pas, M. Porthos sur sa baronnie et moi sur mon grade ?

— Foi de Mazarin.

— J’aimerais mieux un autre serment, se dit tout bas d’Artagnan ; puis tout haut :

— Ne puis-je, dit-il, présenter mes respects à Sa Majesté la reine ?

— Sa Majesté dort, répondit vivement Mazarin, et il faut que vous partiez sans délai ; allez donc, monsieur.

— Encore un mot, monseigneur : si l’on se bat où je vais, me battrais-je ?

— Vous ferez ce que vous ordonnera la personne à laquelle je vous adresse.

— C’est bien, monseigneur, dit d’Artagnan en allongeant la main pour recevoir le sac, et je vous présente tous mes respects.

D’Artagnan mit lentement le sac dans sa large poche et, se retournant vers l’officier :

— Monsieur, lui dit-il, voulez-vous bien aller réveiller à son tour M. du Vallon de la part de Son Éminence et lui dire que je l’attends aux écuries ?

L’officier partit aussitôt avec un empressement qui parut à d’Artagnan avoir quelque chose d’intéressé.

Porthos venait de s’étendre à son tour dans son lit, et il commençait à ronfler harmonieusement selon son habitude, lorsqu’il sentit qu’on lui frappait sur l’épaule. Il crut que c’était d’Artagnan et ne bougea point.

— De la part du cardinal, dit l’officier.

— Hein ! dit Porthos en ouvrant de grands yeux, que dites-vous ?

— Je dis que Son Éminence vous envoie en Angleterre, et que M. d’Artagnan vous attend aux écuries.

Porthos poussa un profond soupir, se leva, prit son feutre, ses pistolets, son épée et son manteau, et sortit en jetant un regard de regret sur le lit dans lequel il s’était promis de si bien dormir.

À peine avait-il tourné le dos que l’officier y était installé, et il n’avait point passé le seuil de la porte que son successeur, à son tour, ronflait à tout rompre. C’était bien naturel, il était seul dans toute cette assemblée, avec le roi, la reine et monseigneur Gaston d’Orléans, qui dormît gratis.