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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/428

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vous êtes porteurs de quelque nouvelle importante.

— Oui, milord, dit Athos, je voudrais parler au roi.

— Au roi ? mais le roi dort.

— J’ai à lui révéler des choses de conséquence.

— Ces choses ne peuvent-elles être remises à demain ?

— Il faut qu’il les sache à l’instant même, et peut-être est-il déjà trop tard.

— Entrons, messieurs, dit de Winter.

La tente de de Winter était posée à côté de la tente royale ; une espèce de corridor communiquait de l’une à l’autre. Ce corridor était gardé non par une sentinelle, mais par un valet de chambre de confiance de Charles Ier, afin qu’en cas urgent, le roi pût à l’instant même communiquer avec son fidèle serviteur.

— Ces messieurs sont avec moi, dit de Winter.

Le laquais s’inclina et laissa passer.

En effet, sur un lit de camp, vêtu de son pourpoint noir, chaussé de ses bottes longues, la ceinture lâche et son feutre près de lui, le roi Charles, cédant à un besoin irrésistible de sommeil, s’était endormi. Les hommes s’avancèrent, et Athos, qui marchait le premier, considéra un instant en silence cette noble figure si pâle, encadrée de ses longs cheveux noirs que collait à ses tempes la sueur d’un mauvais sommeil et que marbraient de grosses veines bleues, qui semblaient gonflées de larmes sous ses yeux fatigués.

Athos poussa un profond soupir ; ce soupir réveilla le roi, tant il dormait d’un faible sommeil. Il ouvrit les yeux.

— Ah ? dit-il en se soulevant sur son coude, c’est vous, comte de la Fère ?

— Oui, sire, répondit Athos.

— Vous veillez tandis que je dors, et vous venez m’apporter quelque nouvelle.

— Hélas ! Sire, répondit Athos, Votre Majesté a deviné juste.

— Alors, la nouvelle est mauvaise, dit le roi en souriant avec mélancolie.

— Oui, Sire.

— N’importe, le messager est le bienvenu, et vous ne pouvez entrer chez moi sans me faire toujours plaisir, vous dont le dévoûment ne connaît ni patrie ni malheur, vous qui m’êtes envoyé par Henriette ; quelle que soit la nouvelle que vous m’apportez, parlez donc avec assurance.

— Sire, M. Cromwell est arrivé cette nuit à Newcastle.

— Ah ! fit le roi, pour me combattre ?

— Non, Sire, pour vous acheter.

— Que dites-vous ?

— Je dis, Sire, qu’il est dû à l’armée écossaise quatre cent mille livres sterling.

— Pour solde arriérée ; oui, je le sais. Depuis près d’un an mes braves et fidèles Écossais se battent pour l’honneur.

Athos sourit.

— Eh bien ! Sire, quoique l’honneur soit une belle chose, ils se sont lassés de se battre pour lui, et, cette nuit, ils vous ont vendu pour deux cent mille livres, c’est-à-dire pour la moitié de ce qui leur était dû.

— Impossible ! s’écria le roi, les Écossais vendre leur roi pour deux cent mille livres !

— Les Juifs ont bien vendu leur Dieu pour trente deniers.

— Et quel est le Judas qui a fait ce marché infâme ?

— Le comte de Lewen.

— En êtes-vous sûr, monsieur ?

— Je l’ai entendu de mes propres oreilles.

Le roi poussa un soupir profond, comme si son cœur se brisait, et laissa tomber sa tête entre ses mains.

— Oh ! les Écossais ! dit-il, les Écossais ! que j’appelais mes fidèles ; les Écossais ! à qui je m’étais confié, quand je pouvais fuir à Oxford ; les Écossais ! mes compatriotes ; les Écossais ! mes frères ! Mais en êtes-vous bien sûr, monsieur ?

— Cou-