Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/436

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et limpide comme il est d’ordinaire à cette heure de la matinée. On distinguait parfaitement les régiments, les étendards et jusqu’à la couleur des uniformes et des chevaux.

Alors on vit sur une petite colline, un peu en avant du front ennemi, apparaître un homme petit, trapu et lourd ; cet homme était entouré de quelques officiers. Il dirigea une lunette sur le groupe dont le roi faisait partie.

— Cet homme connaît-il personnellement Votre Majesté ? demanda Aramis.

Charles sourit.

— Cet homme, c’est Cromwell, dit-il.

— Alors abaissez votre chapeau, sire, qu’il ne s’aperçoive pas de la substitution.

— Ah ! dit Athos, nous avons perdu bien du temps.

— Alors, dit le roi, l’ordre et partons.

— Le donnez-vous, sire ? demanda Athos.

— Non, je vous nomme mon lieutenant général, dit le roi.

— Écoutez alors, milord de Winter, dit Athos ; éloignez-vous, sire, je vous prie ; ce que nous allons dire ne regarde pas Votre Majesté.

Le roi fit en souriant trois pas en arrière.

— Voici ce que je propose, continua Athos : Nous divisons votre régiment en deux escadrons ; vous vous mettez à la tête du premier ; Sa Majesté et nous à la tête du second ; si rien ne vient nous barrer le passage, nous chargeons tous ensemble pour forcer la ligne ennemie et nous jeter dans la Tyne, que nous traversons, soit à gué, soit à la nage ; si au contraire on nous pousse quelque obstacle sur le chemin, vous et vos hommes vous vous faites tuer jusqu’au dernier, nous et le roi nous continuons notre route ; une fois arrivés au bord de la rivière, fussent-ils sur trois rangs d’épaisseur, si votre escadron fait son devoir, cela nous regarde.

— À cheval ! dit de Winter.

— À cheval ! dit Athos, tout est prévu et décidé.

— Alors, messieurs, dit le roi, en avant ! rallions-nous à l’ancien cri de France, Montjoie et saint-Denis ! Le cri de l’Angleterre est répété maintenant par trop de traîtres.

On monta à cheval, le roi sur le cheval de de Winter, de Winter sur le cheval du roi ; puis de Winter se mit au premier rang du premier escadron, et le roi, ayant Athos à sa droite et Aramis à sa gauche, au premier rang du second… Toute l’armée écossaise regardait ces préparatifs avec l’immobilité et le silence de la honte. On vit quelques chefs sortir des rangs et briser leurs épées.

— Allons, dit le roi, cela me console, ils ne sont pas tous des traîtres.

En ce moment la voix de de Winter retentit :

— En avant ! s’écriait-il.

Le premier escadron s’ébranla, le second le suivit et descendit de la plate-forme. Un régiment de cuirassiers à peu près égal en nombre se développait derrière la colline et venait ventre à terre au-devant de lui… Le roi montra à Athos et à Aramis ce qui se passait.

— Sire, dit Athos, le cas est prévu, et si les hommes de de Winter font leur devoir, cet événement nous sauve au lieu de nous perdre.

En ce moment on entendit, par-dessus tout le bruit que faisaient les chevaux en galopant et hennissant, de Winter qui criait :

— Sabre en main !

Tous les sabres à ce commandement sortirent du fourreau et parurent comme des éclairs.