Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/437

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— Allons, messieurs, cria le roi à son tour, enivré par le bruit et par la vue, allons, messieurs, sabre en main !

Mais à ce commandement, dont le roi donna l’exemple, Athos et Aramis seuls obéirent.

— Nous sommes trahis, dit tout bas le roi.

— Attendons encore, dit Athos ; peut-être n’ont-ils pas reconnu la voix de Votre Majesté, et attendent-ils l’ordre de leur chef d’escadron.

— N’ont-ils pas entendu celui de leur colonel ? Mais voyez ! voyez ! s’écria le roi, arrêtant son cheval d’une secousse qui le fit plier sur ses jarrets, et saisissant la bride du cheval d’Athos.

— Ah ! lâches ! ah ! misérables ! ah ! traîtres ! criait de Winter, dont on entendait la voix, tandis que ses hommes, quittant leurs rangs, s’éparpillaient dans la plaine.

Une quinzaine d’hommes à peine étaient groupés autour de lui et attendaient la charge des cuirassiers de Cromwell.

— Allons mourir avec eux ! dit le roi.

— Allons mourir ! dirent Athos et Aramis.

— À moi les cœurs fidèles ! cria de Winter.

Cette voix arriva jusqu’aux deux amis, qui partirent au galop.

— Pas de quartier ! cria en français, et répondant à la voix de de Winter, une voix qui les fit tressaillir.

Quant à de Winter, au son de cette voix il demeura pâle et comme pétrifié… Cette voix, c’était celle d’un cavalier monté sur un magnifique cheval noir, et qui chargeait en tête du régiment anglais que, dans son ardeur, il devançait de dix pas.

— C’est lui ! murmura de Winter les yeux fixes et laissant pendre son épée à ses côtés.

— Le roi ! le roi ! crièrent plusieurs voix se trompant au cordon bleu et au cheval isabelle de de Winter ; prenez-le vivant !

— Non, ce n’est pas le roi ! s’écria le cavalier ; ne vous y trompez pas. N’est-ce pas, milord de Winter, que vous n’êtes pas le roi ? n’est-ce pas que vous êtes mon oncle ?

Et en même temps, Mordaunt, car c’était lui, dirigea le canon d’un pistolet vers de Winter. Le coup partit ; la balle traversa la poitrine du vieux gentilhomme, qui fit un bond sur sa selle et retomba entre les bras d’Athos en murmurant :

— Le vengeur !

— Souviens-toi de ma mère, hurla Mordaunt en passant outre, emporté qu’il était par le galop furieux de son cheval.

— Misérable ! cria Aramis en lui lâchant un coup de pistolet presque à bout portant et comme il passait à côté de lui, mais l’amorce seule prit feu et le coup ne partit point.

En ce moment le régiment tout entier tomba sur les quelques hommes qui avaient tenu, et les deux Français furent entourés, pressés, enveloppés. Athos, après s’être assuré que de Winter était mort, lâcha le cadavre, et tirant son épée :

— Allons, Aramis, pour l’honneur de la France !

Et les deux Anglais qui se trouvaient les plus proches des deux gentilshommes tombèrent tous deux frappés mortellement.