Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/438

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Au même moment un hourra terrible retentit et trente lames étincelèrent au-dessus de leurs têtes.

Tout à coup un homme s’élance du milieu des rangs anglais, qu’il bouleverse, bondit sur Athos, l’enlace de ses bras nerveux, lui arrache son épée en lui disant à l’oreille :

— Silence ! rendez-vous. Vous rendre à moi, ce n’est pas vous rendre.

Un géant a aussi saisi les deux poignets d’Aramis, qui essaie en vain de se soustraire à sa formidable étreinte.

— Rendez-vous ! lui dit-il en le regardant fixement.

Aramis lève la tête, Athos se retourne…

— D’Art…… s’écria Athos, dont le Gascon ferma la bouche avec la main.

— Je me rends, dit Aramis en tendant son épée à Porthos.

— Feu ! feu ! criait Mordaunt en revenant sur le groupe où étaient les deux amis.

— Et pourquoi, feu ? dit le colonel, tout le monde s’est rendu.

— C’est le fils de milady, dit Athos à d’Artagnan.

— Je l’ai reconnu.

— C’est le moine, dit Porthos à Aramis.

— Je le sais.

En même temps les rangs commencèrent à s’ouvrir. D’Artagnan tenait la bride du cheval d’Athos. Chacun d’eux essayait d’entraîner son prisonnier loin du champ de bataille. Ce mouvement découvrit l’endroit où était tombé le corps de de Winter. Avec l’instinct de la haine, Mordaunt l’avait retrouvé, et le regardait, penché sur son cheval, avec un sourire hideux… Athos, tout calme qu’il était, mit la main à ses fontes encore garnies de pistolets.

— Que faites-vous ? dit d’Artagnan.

— Laissez-moi le tuer.

— Pas un geste qui puisse faire croire que vous le connaissez, ou nous sommes perdus tous quatre.

Puis se retournant vers le jeune homme :

— Bonne prise ! s’écria-t-il, bonne prise ! ami Mordaunt. Nous avons chacun le nôtre, M. du Vallon et moi : des chevaliers de la Jarretière, rien que cela !

— Mais, s’écria Mordaunt, regardant Athos et Aramis avec des yeux sanglants, mais ce sont des Français, ce me semble ?

— Je n’en sais, ma foi, rien. Êtes-vous Français, monsieur ? demanda-t-il à Athos.

— Je le suis, répondit gravement celui-ci.

— Eh bien ! mon cher monsieur, vous voilà prisonnier d’un compatriote.

— Mais le roi ? dit Athos avec angoisse, le roi ?

D’Artagnan serra vigoureusement la main de son prisonnier et lui dit :

— Eh ! nous le tenons, le roi !

— Oui, dit Aramis, par une trahison infâme.

Porthos broya le poignet de son ami, et lui dit avec un sourire :

— Eh, monsieur ! la guerre se fait autant par l’adresse que par la force : regardez !

En effet on vit en ce moment l’escadron qui devait protéger la retraite de Charles s’avancer à la rencontre du régiment anglais, enveloppant le roi, qui marchait seul à pied dans un grand espace vide. Le prince était calme en apparence, mais on voyait ce qu’il devait souffrir pour paraître calme ; ainsi la sueur coulait de son front, et il s’essuyait les tempes et les lèvres avec un mouchoir qui chaque fois s’éloigna de sa bouche teint de sang.

— Voilà Nabuchodonosor, s’écria un des cuirassiers de Cromwell, vieux puritain, dont les yeux s’enflammèrent à l’aspect de celui qu’on appelait le tyran.