Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/466

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le blessé.

— Pouvons-nous quelque chose pour vous ? demanda Athos.

— Aidez-moi à me mettre sur le lit ; cela me soulagera, il me semble.

— Aurez-vous quelqu’un qui vous porte secours ?

— Ma femme est à Durham, et va revenir d’un moment à l’autre. Mais, vous-mêmes, n’avez-vous besoin de rien, ne désirez-vous rien ?

— Nous étions venus dans l’intention de vous demander à manger.

— Hélas ! ils ont tout pris, et il ne reste pas un morceau de pain dans la maison.

— Vous entendez, d’Artagnan ? dit Athos, il nous faut aller chercher notre dîner ailleurs.

— Cela m’est bien égal, maintenant, dit d’Artagnan ; je n’ai plus faim.

— Ma foi, ni moi non plus, dit Porthos.

Et ils transportèrent l’homme sur son lit. On fit venir Grimaud, qui pansa sa blessure. Grimaud avait, au service des quatre amis, eu tant de fois l’occasion de faire de la charpie et des compresses, qu’il avait pris une certaine teinte de chirurgie. Pendant ce temps, les fugitifs étaient revenus dans la première chambre et tenaient conseil.

— Maintenant, dit Aramis, nous savons à quoi nous en tenir : c’est bien le roi et son escorte qui sont passés par ici ; il faut prendre du côté opposé. Est-ce votre avis, Athos ?

Athos ne répondit pas, il réfléchissait.

— Oui, dit Porthos, prenons du côté opposé. Si nous suivons l’escorte, nous trouverons tout dévoré et nous finirons par mourir de faim ; quel maudit pays que cette Angleterre ! c’est la première fois que j’aurai manqué à dîner. Le dîner est mon meilleur repas, à moi.

— Que pensez-vous, d’Artagnan ? dit Athos ; êtes-vous de l’avis d’Aramis ?

— Non point, dit d’Artagnan, je suis au contraire de l’avis tout opposé.

— Comment ! vous voulez suivre l’escorte ? dit Porthos effrayé.

— Non, mais faire route avec elle.

Les yeux d’Athos brillèrent de joie.

— Faire route avec l’escorte ! s’écria Aramis.

— Laissez dire d’Artagnan, vous savez que c’est l’homme aux bons conseils, dit Athos.

— Sans doute, reprit d’Artagnan, il faut aller où l’on ne nous cherchera pas. Or on se gardera bien de nous chercher parmi les puritains, allons donc parmi les puritains.

— Bien, ami, bien, excellent conseil, dit Athos, j’allais le donner quand vous m’avez devancé.

— C’est donc aussi votre avis ? demanda Aramis.

— Oui. On croira que nous voulons quitter l’Angleterre, on nous cherchera dans les ports ; pendant ce temps nous arriverons à Londres avec le roi ; une fois à Londres, nous sommes introuvables : au milieu d’un million d’hommes il n’est pas difficile de se cacher, sans compter, continua Athos en jetant un regard à Aramis, les chances que nous offre ce voyage.

— Oui, dit Aramis, je comprends.

— Moi, je ne comprends pas, dit Porthos, mais n’importe, puisque cet avis est à la fois celui de d’Artagnan et d’Athos, ce doit être le meilleur.

— Mais, observa Aramis, ne paraîtrons-nous point suspects au colonel Harrison ?

— Eh ! mordioux ! dit d’Artagnan, c’est justement sur lui que je compte ; le colonel Harrison est de nos amis ; nous l’avons vu deux fois chez le général Cromwell ; il sait que nous lui avons été envoyés de France par mons Mazarini, il nous regardera comme des frères. D’ailleurs, n’est-ce pas le fils d’un boucher ? Oui, n’est-ce pas ? Eh bien ! Porthos lui montrera comment on assomme un bœuf d’un coup de poing, et moi comment on renverse un taureau en le prenant par les cornes ; cela captera sa confiance.