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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/467

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Athos sourit.

— Vous êtes le meilleur compagnon que je connaisse, d’Artagnan, dit-il en tendant la main au Gascon, et je suis bien heureux de vous avoir retrouvé, mon cher fils.

C’était, comme on le sait, le nom qu’Athos donnait à d’Artagnan dans ses grandes effusions de cœur.

En ce moment Grimaud sortit de la chambre. Le blessé était pansé et se trouvait mieux. Les quatre amis prirent congé de lui et lui demandèrent s’il n’avait pas quelque commission à leur donner pour son frère.

— Dites-lui, répondit le brave homme, qu’il fasse savoir au roi qu’ils ne m’ont pas tué tout à fait ; si peu que je sois, je suis sûr que Sa Majesté me regrette et se reproche ma mort.

— Soyez tranquille, dit d’Artagnan, il le saura avant ce soir.

La petite troupe se remit en marche ; il n’y avait point à se tromper de chemin : celui qu’elle voulait suivre était visiblement tracé à travers la plaine. Au bout de deux heures de marche silencieuse, d’Artagnan qui tenait la tête s’arrêta au tournant d’un chemin.

— Ah ! ah ! dit-il, voici nos gens.

En effet, une troupe considérable de cavaliers apparaissait à une demi-lieue de là environ.

— Mes chers amis, dit d’Artagnan, donnez vos épées à M. Mouston, qui vous les remettra en temps et lieu, et n’oubliez point que vous êtes nos prisonniers.

Puis on mit au trot les chevaux, qui commençaient à se fatiguer, et l’on eut bientôt rejoint l’escorte. Le roi, placé en tête, entouré d’une partie du régiment du colonel Harrison, cheminait impassible, toujours digne et avec une sorte de bonne volonté. En apercevant Athos et Aramis, auxquels on ne lui avait pas même laissé le temps de dire adieu, et en lisant dans les regards de ces deux gentilshommes qu’il avait encore des amis à quelques pas de lui, quoiqu’il crût ces amis prisonniers, une rougeur de plaisir monta aux joues pâlies du roi.

D’Artagnan gagna la tête de la colonne, et, laissant ses amis sous la garde de Porthos, il alla droit à Harrison, qui le reconnut effectivement pour l’avoir vu chez Cromwell, et qui l’accueillit aussi poliment qu’un homme de cette condition et de ce caractère pouvait accueillir quelqu’un. Ce qu’avait prévu d’Artagnan arriva : le colonel n’avait et ne pouvait avoir aucun soupçon.

On s’arrêta ; c’était à cette halte que devait dîner le roi. Seulement cette fois les précautions furent prises pour qu’il ne tentât pas de s’échapper. Dans la grande chambre de l’hôtellerie, une petite table fut placée pour lui, et une grande table pour les officiers.

— Dînez-vous avec moi ? demanda Harrison à d’Artagnan.

— Diable ! dit d’Artagnan, cela me ferait grand plaisir, mais j’ai mon compagnon, M. du Vallon, et mes deux prisonniers que je ne puis quitter et qui encombreraient votre table. Mais faisons mieux : faites dresser une table dans un coin, et envoyez-nous ce que bon vous semblera de la vôtre, car sans cela nous courrons grand risque de mourir de faim. Ce sera toujours dîner ensemble, puisque nous dînerons dans la même chambre.

— Soit, dit Harrison.

La chose fut arrangée comme le désirait d’Artagnan, et lorsqu’il revint près du