Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/47

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présent ; mais voilà que vous m’en parlez à votre tour. Tant mieux ! car il en sera question cette fois entre nous, et tout sera fini, entendez-vous bien ? — Mais, madame, dit Mazarin étonné de ce retour de force, je ne demande pas que vous me disiez tout. — Et moi, je veux tout vous dire, répondit Anne d’Autriche. Écoutez donc. Je veux vous dire qu’il y avait effectivement à cette époque quatre cœurs dévoués, quatre âmes loyales, quatre épées fidèles, qui m’ont sauvé plus que la vie, monsieur, qui m’ont sauvé l’honneur. — Ah ! vous l’avouez, dit Mazarin. — N’y a-t-il donc que les coupables dont l’honneur soit en jeu, monsieur, et ne peut-on pas déshonorer quelqu’un, une femme surtout, avec des apparences ? Oui, les apparences étaient contre moi et j’allais être déshonorée, et cependant, je le jure, je n’étais pas coupable. Je le jure…

La reine chercha une chose sainte sur laquelle elle pût jurer, et tirant d’une armoire perdue dans la tapisserie un petit coffret de bois de rose incrusté d’argent, et le posant sur l’autel :

— Je le jure ! reprit-elle sur ces reliques sacrées, j’aimais M. de Buckingham, mais M. de Buckingham n’était pas mon amant.

— Et quelles sont ces reliques sur lesquelles vous faites ce serment, madame ? dit en souriant Mazarin ; car, je vous en préviens, en ma qualité de Romain, je suis incrédule : il y a relique et relique.

La reine détacha une petite clef d’or de son cou et la présenta au cardinal.

— Ouvrez, monsieur, dit-elle, et voyez vous-même.

Mazarin, étonné, prit la clef et ouvrit le coffret, dans lequel il ne trouva qu’un couteau rongé par la rouille et deux lettres dont l’une était tachée de sang.

— Qu’est-ce que cela ? demanda Mazarin.

— Qu’est-ce que cela, monsieur ! dit Anne d’Autriche avec son geste de reine et en étendant sur le coffret ouvert un bras resté parfaitement beau malgré les années. Je vais vous le dire. Ces deux lettres sont les deux seules lettres que je lui aie jamais écrites. Ce couteau, c’est celui dont Felton l’a frappé. Lisez les lettres, monsieur, et vous verrez si j’ai menti.

Malgré la permission qui lui était donnée, Mazarin, par un sentiment naturel, au lieu de lire les lettres, prit le couteau que Buckingham mourant avait arraché de sa blessure, et qu’il avait, par Laporte, envoyé à la reine. La lame en était toute rongée, car le sang était devenu de la rouille ; puis après un instant d’examen, pendant lequel la reine était devenue aussi blanche que la nappe de l’autel sur lequel elle était appuyée, il le replaça dans le coffret avec un frisson involontaire.

— C’est bien, madame, dit-il, je m’en rapporte à votre serment.

— Non, non, lisez, dit la reine en fronçant le sourcil ; lisez, je le veux, je l’ordonne, afin, comme je l’ai résolu, que tout soit fini de cette fois, et que nous ne revenions plus sur ce sujet. Croyez-vous, ajouta-t-elle avec un sourire terrible, que je sois disposée à rouvrir ce coffret à chacune de vos accusations à venir ?…

Mazarin, dominé par cette énergie, obéit presque machinalement et lut les deux lettres. L’une était celle par laquelle la reine redemandait les ferrets à Buckingham : c’était celle qu’avait portée d’Artagnan et qui était arrivée à