Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/48

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temps ; l’autre était celle que Laporte avait remise au duc, dans laquelle la reine le prévenait qu’il allait être assassiné, et qui était arrivée trop tard.

— C’est bien, madame, dit Mazarin, et il n’y a rien à répondre à cela. — Si, monsieur, dit la reine en refermant le coffret et en appuyant sa main dessus ; si, il y a quelque chose à répondre : c’est que j’ai toujours été ingrate envers ces hommes qui m’ont sauvée, moi, et qui ont fait tout ce qu’ils ont pu pour le sauver, lui ; c’est que je n’ai rien donné à ce brave d’Artagnan dont vous me parliez tout à l’heure, que ma main à baiser et ce diamant.

La reine étendit sa belle main vers le cardinal et lui montra une pierre admirable qui scintillait à son doigt.

— Il l’a vendu, à ce qu’il paraît, reprit-elle, dans un moment de gêne ; il l’a vendu pour me sauver une seconde fois, car c’était pour envoyer un messager au duc et pour le prévenir qu’il devait être assassiné.

— D’Artagnan le savait donc ? — Il savait tout. Comment faisait-il ? je l’ignore. Mais enfin il l’a vendu à M. des Essarts, au doigt duquel je l’ai vu, et de qui je l’ai racheté ; mais ce diamant lui appartient, monsieur, rendez-le-lui donc de ma part, et, puisque vous avez le bonheur d’avoir près de vous un pareil homme, tâchez de l’utiliser. — Merci, madame, dit Mazarin ; je profiterai du conseil. — Et maintenant, dit la reine comme brisée par l’émotion, avez-vous autre chose à me demander ? — Rien, madame, répondit le cardinal de sa voix la plus caressante, que de vous supplier de me pardonner mes injustes soupçons ; mais je vous aime tant, qu’il n’est pas étonnant que je sois jaloux, même du passé.

Un sourire d’une indéfinissable expression passa sur les lèvres de la reine.

— Eh bien ! alors, monsieur, dit-elle, si vous n’avez rien autre chose à me demander, laissez-moi, vous devez comprendre qu’après une pareille scène j’ai besoin d’être seule.

Mazarin s’inclina.

— Je me retire, madame, dit-il ; me permettez-vous de revenir ?

— Oui, mais demain ; je n’aurai pas trop de tout ce temps pour me remettre.

Le cardinal prit la main de la reine et la lui baisa galamment, puis il se retira.

À peine fut-il sorti que la reine passa dans l’appartement de son fils et demanda à Laporte si le roi était couché. Laporte lui montra de la main l’enfant qui dormait.

Anne d’Autriche monta sur les marches du lit, approcha ses lèvres du front plissé de son fils et y déposa doucement un baiser, puis elle se retira silencieuse comme elle était venue, se contentant de dire au valet de chambre : — Tâchez donc, mon cher Laporte, que le roi fasse meilleure mine à M. le cardinal, auquel lui et moi avons de si grandes obligations.

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