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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/475

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leur inspirait cette nature brutale et grossière… En somme, Groslow parut content de la réception.

Athos et Aramis se tinrent dans leurs rôles. À minuit ils se retirèrent dans leur chambre, dont on laissa, sous prétexte de bienveillance, la porte ouverte. En outre, d’Artagnan les y accompagna, laissant Porthos aux prises avec Groslow.

Porthos gagna cinquante pistoles à Groslow et trouva, lorsqu’il se fut retiré, qu’il était d’une compagnie plus agréable qu’il ne l’avait cru d’abord. Quant à Groslow, il se promit de réparer le lendemain sur d’Artagnan l’échec qu’il avait éprouvé avec Porthos, et quitta le Gascon en lui rappelant le rendez-vous du soir. Nous disons du soir, car les joueurs se quittèrent à quatre heures du matin.

La journée se passa comme d’habitude, d’Artagnan allait du capitaine Groslow au colonel Harrison, et du colonel Harrison à ses amis. Pour quelqu’un qui ne connaissait pas d’Artagnan, il paraissait être dans son assiette ordinaire ; pour ses amis, c’est-à-dire pour Athos et Aramis, sa gaîté était de la fièvre.

— Que peut-il machiner ? disait Aramis.

— Attendons, disait Athos.

Porthos ne disait rien, seulement il comptait l’une après l’autre dans son gousset, avec un air de satisfaction qui se trahissait à l’extérieur, les cinquante pistoles qu’il avait gagnées à Groslow.

En arrivant le soir à Ryston, d’Artagnan rassembla ses amis. Sa figure avait perdu ce caractère de gaîté insoucieuse, qu’il avait porté comme un masque toute la journée. Athos serra la main d’Aramis.

— Le moment approche, dit-il.

— Oui, dit d’Artagnan, qui avait entendu, oui, le moment approche : cette nuit, messieurs, nous sauvons le roi.

Athos tressaillit, ses yeux s’enflammèrent.

— D’Artagnan, dit-il, doutant après avoir espéré, ce n’est point une plaisanterie, n’est-ce pas ? elle me ferait trop grand mal.

— Vous êtes étrange, Athos, dit d’Artagnan, de douter ainsi de moi… Où et quand m’avez-vous vu plaisanter avec le cœur d’un ami et la vie d’un roi ? Je vous ai dit et je vous répète que cette nuit nous sauvons Charles Ier. Vous vous en êtes rapporté à moi de trouver un moyen, le moyen est trouvé.

Porthos regardait d’Artagnan avec un sentiment d’admiration profonde. Aramis souriait en homme qui espère. Athos était pâle comme la mort et tremblait de tous ses membres.

— Parlez, dit Athos.

Porthos ouvrit ses gros yeux ; Aramis se pendit pour ainsi dire aux lèvres de d’Artagnan.

— Nous sommes invités à passer la nuit chez M. Groslow ; vous savez cela ?

— Oui, répondit Porthos, il nous a fait promettre de lui donner sa revanche.

— Bien. Mais savez-vous où nous lui donnons sa revanche ?

— Non.

— Chez le roi.

— Chez le roi ! s’écria Athos.

— Oui, messieurs, chez le roi. M. Groslow est de garde ce soir près de Sa Majesté, et, pour se distraire dans sa faction, il nous invite à aller lui tenir compagnie.

— Tous quatre ? demanda Athos.

— Pardieu ! certainement, tous quatre ; est-ce que nous quittons nos prisonniers !

— Ah ! ah ! fit Aramis.

— Voyons, dit Athos palpitant.

— Nous allons donc chez Groslow, nous avec nos épées, vous avec des poignards ; à nous quatre nous nous rendons maîtres de ces huit imbéciles et de leur stupide commandant :