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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/479

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tout haut ce verset de Jérémie : « Dieu dit, Écoutez les paroles des prophètes, mes serviteurs, que je vous ai envoyés avec grand soin, et que j’ai conduits vers vous. »

Les quatre amis échangèrent un regard. Les paroles que venait de dire Parry leur indiquaient que leur présence était attribuée par le roi à son véritable motif. Les yeux de d’Artagnan pétillèrent de joie.

— Vous m’avez demandé tout à l’heure si j’étais en fonds, dit d’Artagnan en mettant une vingtaine de pistoles sur la table.

— Oui, dit Groslow.

— Eh bien, reprit d’Artagnan, à mon tour je vous dis : Tenez bien votre trésor, mon cher monsieur Groslow, car je vous réponds que nous ne sortirons d’ici qu’en vous l’enlevant.

— Ce ne sera pas sans que je le défende, répondit Groslow.

— Tant mieux, dit d’Artagnan. Bataille, mon cher capitaine, bataille ! Vous savez ou vous ne savez pas que c’est ce que nous demandons.

— Ah ! oui, je sais bien, dit Groslow en éclatant de son gros rire, vous ne cherchez que plaies et bosses, vous autres Français.

En effet, Charles avait tout entendu, tout compris. Une légère rougeur monta à son visage. Les soldats qui le gardaient le virent donc peu à peu étendre ses membres fatigués, et, sous prétexte d’une excessive chaleur provoquée par un poêle chauffé à blanc, rejeter peu à peu la couverture écossaise sous laquelle, nous l’avons dit, il était couché tout vêtu. Athos et Aramis tressaillirent de joie en voyant que le roi était couché habillé.

La partie commença. Ce soir-là la veine avait tourné et était pour Groslow ; il tenait tout et gagnait toujours. Une centaine de pistoles passa ainsi d’un côté de la table à l’autre. Groslow était d’une gaîté folle. Porthos, qui avait perdu les cinquante pistoles qu’il avait gagnées la veille, et en outre une trentaine de pistoles à lui, était fort maussade et interrogeait d’Artagnan du genou, comme pour lui demander s’il n’était pas bientôt temps de passer à un autre jeu ; de leur côté, Athos et Aramis le regardaient d’un œil scrutateur, mais d’Artagnan restait impassible.

Dix heures sonnèrent. On entendit la ronde qui passait.

— Combien faites-vous de rondes comme celle-là ? dit d’Artagnan en tirant de nouvelles pistoles de sa poche.

— Cinq, dit Groslow, une toutes les deux heures.

— Bien, dit d’Artagnan, c’est prudent.

Et à son tour, il lança un coup d’œil à Athos et à Aramis.

On entendit les pas de la patrouille qui s’éloignait.

D’Artagnan répondit pour la première fois au coup de genou de Porthos par un coup de genou pareil.

Cependant, attirés par cet attrait du jeu et par la vue de l’or, si puissante chez tous les hommes, les soldats, dont la consigne était de rester dans la chambre du roi s’étaient peu à peu rapprochés de la porte, et là, en se haussant sur la pointe du pied, ils regardaient par-dessus l’épaule de d’Artagnan et de Porthos ; ceux de la porte s’étaient rapprochés aussi, secondant de cette façon les désirs des quatre amis, qui aimaient mieux les avoir sous la main que d’être obligés de courir à eux aux quatre coins de la chambre. Les deux sentinelles de la porte avaient toujours l’épée nue, seulement elles s’appuyaient sur la pointe et regardaient les joueurs.