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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/499

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la croix de diamants et la plaque de la Jarretière qu’elle lui avait envoyées par ces généreux Français, et les baisa ; puis, songeant qu’elle ne reverrait ces objets que lorsqu’il serait couché froid et mutilé dans une tombe, il sentit passer en lui un de ces frissons glacés que la mort nous jette comme son premier manteau.

Alors dans cette chambre qui lui rappelait tant de souvenirs royaux, où avaient passé tant de courtisans et tant de flatteries, seul avec un serviteur désolé dont l’âme faible ne pouvait soutenir son âme, le roi laissa tomber son courage au niveau de cette faiblesse, de ces ténèbres, de ce froid d’hiver ; et, le dira-t-on, ce roi qui mourut si grand, si sublime, avec le sourire de la résignation sur les lèvres, essuya dans l’ombre une larme qui était tombée sur la table et qui tremblait sur le tapis brodé d’or.

Soudain on entendit des pas dans les corridors, la porte s’ouvrit, des torches emplirent la chambre d’une lumière fumeuse, et un ecclésiastique, revêtu des habits épiscopaux, entra suivi de deux gardes auxquels Charles fit de la main un geste impérieux. Ces deux gardes se retirèrent ; la chambre rentra dans son obscurité.

— Juxon ! s’écria Charles, Juxon ! Merci, mon dernier ami, vous arrivez à propos.

L’évêque jeta un regard oblique et inquiet sur cet homme qui sanglotait dans l’angle du foyer.

— Allons, Parry, dit le roi, ne pleure plus, voici Dieu qui vient à nous.

— Si c’est Parry, dit l’évêque, je n’ai plus rien à craindre ; ainsi, sire, permettez-moi de saluer Votre Majesté et de lui dire qui je suis et pour quelle cause je viens.

À cette vue, à cette voix, Charles allait s’écrier sans doute, mais Aramis mit un doigt sur ses lèvres et salua profondément le roi d’Angleterre.

— Le chevalier, murmura Charles…

— Oui, sire, interrompit Aramis en élevant la voix, oui, l’évêque Juxon, fidèle chevalier du Christ, et qui se rend aux vœux de Votre Majesté.

Charles joignit les mains ; il avait reconnu d’Herblay, il restait stupéfait, anéanti, devant ces hommes qui, étrangers, sans aucun mobile qu’un devoir imposé par leur propre conscience, luttaient ainsi contre la volonté d’un peuple et contre la destinée d’un roi.

— Vous, dit-il, vous ! comment êtes-vous parvenu jusqu’ici ? Mon Dieu, s’ils vous reconnaissaient, vous seriez perdu.

Parry était debout, toute sa personne exprimait le sentiment d’une naïve et profonde admiration.

— Ne songez pas à moi, sire, dit Aramis en recommandant toujours du geste le silence au roi, ne songez qu’à vous ; vos amis veillent, vous le voyez ; ce que nous ferons, je ne sais pas encore ; mais quatre hommes déterminés peuvent faire beaucoup. En attendant, ne fermez pas l’œil de la nuit, ne vous étonnez de rien et attendez-vous à tout.

Charles secoua la tête.

— Ami, dit-il, savez-vous que vous n’avez pas de temps à perdre et que si vous voulez agir, il faut vous presser ? Savez-vous que c’est demain à dix heures que je dois mourir ?

— Sire, quelque chose se passera d’ici là qui rendra l’exécution impossible.