Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/500

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Le roi regarda Aramis avec étonnement… En ce moment même il se fit, au-dessous de la fenêtre du roi, un bruit étrange et comme ferait celui d’une charrette de bois qu’on décharge.

— Entendez-vous ? dit le roi.

Ce bruit fut suivi d’un cri de douleur.

— J’écoute, dit Aramis, mais je ne comprends pas quel est ce bruit, et surtout ce cri.

— Ce cri, j’ignore qui a pu le pousser, dit le roi, mais ce bruit, je vais vous en rendre compte. Savez-vous que je dois être exécuté en dehors de cette fenêtre ? ajouta Charles en étendant la main vers la place sombre et déserte, peuplée seulement de soldats et de sentinelles.

— Oui, sire, dit Aramis, je le sais.

— Eh bien ! ce bois qu’on apporte, ce sont les poutres et les charpentes avec lesquelles on va construire mon échafaud. Quelque ouvrier se sera blessé en les déchargeant.

Aramis frissonna malgré lui.

— Vous voyez bien, dit Charles, qu’il est inutile que vous vous obstiniez davantage ; je suis condamné, laissez-moi subir mon sort.

— Sire, dit Aramis en reprenant sa tranquillité un instant troublée, ils peuvent bien dresser un échafaud, mais ils ne pourront pas trouver un exécuteur.

— Que voulez-vous dire ? demanda le roi.

— Je veux dire qu’à cette heure, sire, le bourreau est enlevé ou séduit ; demain, l’échafaud sera prêt, mais le bourreau manquera, on remettra alors l’exécution à après-demain.

— Eh bien ? dit le roi.

— Eh bien ! demain dans la nuit nous vous enlevons.

— Comment cela ? s’écria le roi, dont le visage s’illumina malgré lui d’un éclair de joie.

— Oh ! monsieur, murmura Parry les mains jointes, soyez bénis, vous et les vôtres.

— Comment cela ? répéta le roi ; il faut que je le sache, afin que je vous seconde s’il en est besoin.

— Je n’en sais rien, sire, dit Aramis ; mais le plus adroit, le plus brave, le plus dévoué de nous quatre m’a dit en me quittant : « Chevalier, dites au roi que demain à dix heures du soir nous l’enlevons. » Puisqu’il l’a dit, il le fera.

— Dites-moi le nom de ce généreux ami, dit le roi, pour que je lui en garde une reconnaissance éternelle, qu’il réussisse ou non.

— D’Artagnan, sire, le même qui a failli vous sauver quand le colonel Harrison est entré si mal à propos.

— Vous êtes en vérité des hommes merveilleux ! dit le roi, et l’on m’eût raconté de pareilles choses que je ne les eusse pas crues.

— Maintenant, sire, reprit Aramis, écoutez-moi. N’oubliez pas un seul instant que nous veillons pour votre salut : le moindre geste, le moindre chant, le moindre signe de ceux qui s’approcheront de vous, épiez tout, écoutez tout, commentez tout.

— Oh ! chevalier ! s’écria le roi, que puis-je vous dire ? aucune parole, vînt-elle du plus profond de mon cœur, n’exprimerait ma reconnaissance. Si vous réussissez, je ne vous dirai pas que vous sauvez un roi ; non, vue de l’échafaud comme je la vois, la royauté, je vous le jure, est bien peu de chose ; mais vous conserverez un mari à sa femme, un père à ses enfants. Chevalier, touchez ma main, c’est celle d’un ami qui vous aimera jusqu’au dernier soupir.

Aramis voulut baiser la main du roi, mais le roi saisit la sienne et l’appuya contre son cœur.

En ce moment un homme entra sans même frapper à la porte ; Aramis voulut retirer sa main, le roi la retint.

Celui qui entrait était un de ces puritains demi-prêtres, demi-soldats, comme il en pullulait près de Cromwell.

— Que voulez-vous, monsieur ? lui dit le roi.

— Je désire savoir si la confession