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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/50

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qui ne l’empêcha pas de saluer Mazarin jusqu’à terre pour répondre à son compliment.

— Eh bien ! continua Mazarin, le moment est venu de mettre à profit vos talents et votre valeur.

Les yeux de l’officier lancèrent comme un éclair de joie qui s’éteignit aussitôt, car il ne savait pas où Mazarin en voulait venir.

— Ordonnez, monseigneur, dit-il, je suis prêt à obéir à Votre Éminence. — Monsieur d’Artagnan, continua Mazarin, vous avez fait sous le dernier règne certains exploits… — Votre Éminence est trop bonne de se souvenir… C’est vrai, j’ai fait la guerre avec assez de succès. — Je ne parle pas de vos exploits guerriers, dit Mazarin, car, quoiqu’ils aient fait quelque bruit, ils ont été surpassés par les autres.

D’Artagnan fit l’étonné.

— Eh bien, dit Mazarin, vous ne répondez pas ? — J’attends, reprit d’Artagnan, que monseigneur me dise de quels exploits il veut parler. — Je parle de l’aventure… Hé ! vous savez bien ce que je veux dire. — Hélas ! non, monseigneur, répondit d’Artagnan tout étonné. — Vous êtes discret, tant mieux ! Je veux parler de cette aventure de la reine, de ces ferrets, de ce voyage que vous avez fait avec trois de vos amis…

— Hé ! hé ! pensa le Gascon, est-ce un piège ? Tenons-nous ferme.

Et il arma ses traits d’une stupéfaction que lui eût enviée Mondori ou Bellerose, les deux meilleurs comédiens de l’époque.

— Fort bien, dit Mazarin en riant ; bravo ! on m’avait bien dit que vous étiez l’homme qu’il me fallait. Voyons, là, que feriez-vous bien pour moi ? — Tout ce que Votre Éminence m’ordonnera de faire, dit d’Artagnan. — Vous feriez pour moi ce que vous avez fait autrefois pour une reine ?

— Décidément, se dit d’Artagnan à lui-même, on veut me faire parler : voyons-le venir. Il n’est pas plus fin que le Richelieu, que diable !

— Pour une reine, monseigneur ? je ne comprends pas. — Vous ne comprenez pas que j’ai besoin de vous et de vos trois amis ? — De quels amis, monseigneur ? — De vos trois amis d’autrefois. — Autrefois, monseigneur, répondit d’Artagnan, je n’avais pas trois amis, j’en avais cinquante. À vingt ans, on appelle tout le monde ses amis. — Bien, bien, monsieur l’officier, dit Mazarin, la discrétion est une belle chose ; mais aujourd’hui vous pourriez vous repentir d’avoir été trop discret. — Monseigneur, Pythagore faisait garder pendant cinq ans le silence à ses disciples pour leur apprendre à se taire. — Et vous l’avez gardé vingt ans, monsieur. C’est quinze ans de plus qu’un philosophe pythagoricien, ce qui me semble raisonnable. Parlez donc, aujourd’hui, car la reine elle-même vous relève de votre serment. — La reine ! dit d’Artagnan avec un étonnement, qui, cette fois, n’était pas joué. — Oui, la reine, et pour preuve que je vous parle en son nom, c’est qu’elle m’a dit de vous montrer ce diamant qu’elle prétend que vous connaissez, et qu’elle a racheté de M. des Essarts.

Et Mazarin étendit la main vers l’officier, qui soupira en reconnaissant la bague que la reine lui avait donnée le soir du bal de l’Hôtel-de-Ville.

— C’est vrai, dit d’Artagnan, je reconnais ce diamant, qui a appartenu à la reine. — Vous voyez donc bien que je vous parle en son nom. Répondez-moi donc