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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/51

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sans jouer davantage la comédie. Je vous l’ai déjà dit, et je vous le répète, il y va de votre fortune. — Ma foi, monseigneur, j’ai grand besoin de faire fortune. Votre Éminence m’a oublié si longtemps ! — Il ne faut que huit jours pour réparer cela. Voyons, vous voilà, vous, mais où sont vos amis ? — Je n’en sais rien, monseigneur. — Comment ! vous n’en savez rien ? — Non, il y a longtemps que nous nous sommes séparés, car tous trois ont quitté le service. — Mais où les retrouverez-vous ? — Partout où ils seront, cela me regarde. — Bien. Vos conditions ? — De l’argent, monseigneur, tant que nos entreprises en demanderont. Je me rappelle trop combien parfois nous avons été empêchés, faute d’argent, et sans ce diamant que j’ai été obligé de vendre, nous serions restés en chemin. — Diable ! de l’argent, et beaucoup, dit Mazarin ; comme vous y allez, monsieur l’officier ! Savez-vous bien qu’il n’y en a pas, d’argent, dans les coffres du roi ? — Faites comme moi, alors, monseigneur, vendez les diamants de la couronne ; croyez-moi, ne marchandons pas, on fait mal les grandes choses avec de petits moyens. — Eh bien, dit Mazarin, nous verrons à vous satisfaire.

— Richelieu, pensa d’Artagnan, m’eût déjà donné cinq cents pistoles d’arrhes.

— Vous serez donc à moi ? — Oui, si mes amis le veulent. — Mais à leur refus je pourrais compter sur vous ? — Je n’ai jamais rien fait de bon tout seul, dit d’Artagnan en secouant la tête. — Allez donc les trouver.

— Que leur dirai-je pour les déterminer à servir Votre Éminence ? — Vous les connaissez mieux que moi. Selon leurs caractères, vous promettrez. — Que promettrai-je ? — Qu’ils me servent comme ils ont servi la reine, et ma reconnaissance sera éclatante. — Que ferons-nous ? — Tout, puisqu’il paraît que vous savez tout faire. — Monseigneur, lorsqu’on a confiance dans les gens et qu’on veut qu’ils aient confiance en nous, on les renseigne mieux que ne fait Votre Éminence. — Lorsque le moment d’agir sera venu, soyez tranquille, reprit Mazarin, vous aurez toute ma pensée. — Et jusque-là ? — Attendez, et cherchez vos amis. — Monseigneur, peut-être ne sont-ils pas à Paris, c’est probable même, il va falloir voyager. Je ne suis qu’un lieutenant de mousquetaires fort pauvre et les voyages sont chers. — Mon intention, dit Mazarin, n’est pas que vous paraissiez avec un grand train ; mes projets ont besoin de mystère et souffriraient d’un trop grand équipage. — Encore, monseigneur, ne puis-je voyager avec ma paie, puisque l’on est en retard de trois mois avec moi, et je ne puis voyager avec mes économies, attendu que depuis vingt-deux ans que je suis au service je n’ai économisé que des dettes.

Mazarin resta un instant pensif, comme si un grand combat se livrait en lui ; puis allant à une armoire fermée d’une triple serrure, il en tira un sac, et le pesant dans sa main deux ou trois fois avant de le donner à d’Artagnan :

— Prenez donc ceci, dit-il avec un soupir, voilà pour le voyage.

— Si ce sont des doublons d’Espagne ou même des écus d’or, pensa d’Artagnan, nous pourrons encore faire affaire ensemble.

Il salua le cardinal et engouffra le sac dans sa large poche.

— Eh bien ! c’est donc dit, répondit le cardinal, vous allez voyager… — Oui, monseigneur. — Écrivez-moi tous les jours pour me donner des nouvelles de votre négociation. — Je n’y manquerai pas, monseigneur. — Très bien. À propos, et le nom de vos amis ? — Le nom de mes amis ? répéta d’Artagnan avec un