Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/512

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Jurez-moi donc de ne pas vous laisser mettre la couronne sur la tête, que vous n’ayez légitimement droit à cette couronne ; car un jour, écoutez bien, mon fils, si vous faisiez cela, tête et couronne, ils abattraient tout, et ce jour-là vous ne pourriez mourir calme et sans remords, comme je meurs. Jurez, mon fils.

L’enfant étendit sa petite main entre celle de son père, et dit :

— Sire, je jure à Votre Majesté…

Charles l’interrompit.

— Henri, dit-il, appelle-moi ton père.

— Mon père, reprit l’enfant, je vous jure qu’ils me tueront avant de me faire roi.

— Bien, mon fils, dit Charles. Maintenant embrassez-moi, et vous aussi, Charlotte, et ne m’oubliez point.

— Oh ! non, jamais ! jamais ! s’écrièrent les deux enfants en lançant leurs bras au cou du roi.

— Adieu, dit Charles ; adieu, mes enfants. Emmenez-les, Juxon ; leurs larmes m’ôteraient le courage de mourir.

Juxon arracha les pauvres enfants des bras de leur père et les remit à ceux qui les avaient amenés.

Derrière eux les portes s’ouvrirent, et tout le monde put entrer.

Le roi, se voyant seul au milieu de la foule des gardes et des curieux qui commençaient à envahir la chambre, se rappela que le comte de la Fère était là bien près, sous le parquet de l’appartement, ne le pouvant voir et espérant peut-être toujours.

Il tremblait que le moindre bruit ne semblât un signal pour Athos, et que celui-ci, en se remettant au travail, ne se trahît lui-même. Il affecta donc l’immobilité et contint par son exemple tous les assistants dans le repos.

Le roi ne se trompait point, Athos était réellement sous ses pieds, il écoutait, il se désespérait de ne pas entendre le signal ; il commençait parfois dans son impatience à déchiqueter de nouveau la pierre, mais, craignant d’être entendu, il s’arrêtait aussitôt.

Cette horrible inaction dura deux heures. Un silence de mort régnait dans la chambre royale. Alors Athos se décida à chercher la cause de cette sombre et muette tranquillité que troublait seule l’immense rumeur de la foule. Il entrouvrit la tenture qui cachait le trou de la crevasse, et descendit sur le premier étage de l’échafaud. Au-dessus de sa tête, à quatre pouces à peine, était le plancher qui s’étendait au niveau de la plate-forme et qui faisait l’échafaud.

Ce bruit, qu’il n’avait entendu que sourdement jusque-là et qui dès lors parvint à lui sombre et menaçant, le fit bondir de terreur. Il alla jusqu’au bord de l’échafaud, entrouvrit le drap noir à la hauteur de son œil et vit des cavaliers acculés à la terrible machine ; au-delà des cavaliers, une rangée de pertuisaniers ; au-delà des pertuisaniers, des mousquetaires, et au-delà des mousquetaires, les premières files du peuple, qui, pareil à un sombre océan, bouillonnait et mugissait.

— Qu’est-il donc arrivé ? se demanda Athos plus tremblant que le drap dont il froissait les plis. Le peuple se presse, les soldats sont sous les armes, et parmi les spectateurs qui tous ont les yeux fixés sur la fenêtre, j’aperçois d’Artagnan ! Qu’attend-il ? Que regarde-t-il ? Grand Dieu ! auraient-ils laissé échapper le bourreau !