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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/513

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Tout à coup le tambour roula sourd et funèbre sur la place ; un bruit de pas pesants et prolongés retentit au-dessus de sa tête. Il lui sembla que quelque chose de pareil à une procession immense foulait les parquets de White-Hall ; bientôt il entendit craquer les planches mêmes de l’échafaud. Il jeta un dernier regard sur la place, et l’attitude des spectateurs lui apprit ce qu’une dernière espérance restée au fond de son cœur l’empêchait encore de deviner.

Le murmure de la place avait cessé entièrement. Tous les yeux étaient fixés sur la fenêtre de White-Hall ; les bouches entrouvertes et les haleines suspendues indiquaient l’attente de quelque terrible spectacle.

Ce bruit de pas que de la place qu’il occupait alors sous le parquet de l’appartement du roi, Athos avait entendu au-dessus de sa tête se reproduisit sur l’échafaud, qui plia sous le poids, de façon à ce que les planches touchèrent presque la tête du malheureux gentilhomme. C’étaient évidemment deux files de soldats qui prenaient leur place.

Au même instant une voix bien connue du gentilhomme, une noble voix prononça ces paroles au-dessus de sa tête :

— Monsieur le colonel, je désire parler au peuple.

Athos frissonna des pieds à la tête : c’était bien le roi qui parlait sur l’échafaud. En effet, après avoir bu quelques gouttes de vin et rompu un pain, Charles, las d’attendre la mort, s’était tout à coup décidé à aller au-devant d’elle et avait donné le signal de la marche. Alors on avait ouvert à deux battants la fenêtre donnant sur la place, et du fond de la vaste chambre, le peuple avait pu voir s’avancer silencieusement d’abord un homme masqué, qu’à la hache qu’il tenait à la main il avait reconnu pour le bourreau. Cet homme s’était approché du billot et y avait déposé sa hache.

C’était le premier bruit qu’Athos avait entendu.

Puis, derrière cet homme, pâle sans doute, mais calme et marchant d’un pas ferme, Charles Stuart, lequel s’avançait entre deux prêtres, suivi de quelques officiers supérieurs, chargés de présider à l’exécution, et escorté de deux files de pertuisaniers, qui se rangèrent aux deux côtés de l’échafaud.

La vue de l’homme masqué avait provoqué une longue rumeur. Chacun était plein de curiosité pour savoir quel était ce bourreau inconnu qui s’était présenté si à point pour que le terrible spectacle promis au peuple pût avoir lieu, quand le peuple avait cru que ce spectacle était remis au lendemain. Chacun l’avait donc dévoré des yeux ; mais tout ce qu’on avait pu voir, c’est que c’était un homme de moyenne taille, vêtu tout en noir, et qui paraissait déjà d’un certain âge, car l’extrémité d’une barbe grisonnante dépassait le bas du masque qui lui couvrait le visage.

Mais à la vue du roi si calme, si noble, si digne, le silence s’était à l’instant même rétabli, de sorte que chacun put entendre le désir qu’il avait manifesté de parler au peuple. À cette demande, celui à qui elle était adressée avait sans doute répondu par un signe affirmatif, car d’une voix ferme et sonore, et qui vibra jusqu’au fond du cœur d’Athos, le roi commença de parler. Il expliquait sa conduite au peuple et lui donnait des conseils pour le bien de l’Angleterre.

— Oh ! se disait Athos en lui-même, est-il bien possible que j’entende ce que j’entends et que je voie ce que je vois ? Est-il bien possible que Dieu ait aban-