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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/514

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donné son représentant sur la terre à ce point qu’il le laisse mourir si misérablement !… Et moi qui ne l’ai pas vu ! moi qui ne lui ai pas dit adieu !

Un bruit pareil à celui qu’aurait fait l’instrument de mort remué sur le billot se fit entendre…

Le roi s’interrompit.

— Ne touchez pas à la hache ! dit-il.

Et il reprit son discours où il l’avait laissé… Le discours fini, un silence de glace s’établit sur la tête du comte. Il avait la main à son front, et entre sa main et son front ruisselaient des gouttes de sueur, quoique l’air fût glacé. Ce silence indiquait les derniers préparatifs.

Le discours terminé, le roi avait promené sur la foule un regard plein de miséricorde ; et détachant l’ordre qu’il portait, et qui était cette plaque en diamants que la reine lui avait envoyée, il la remit au prêtre qui accompagnait Juxon. Puis il tira de sa poitrine une petite croix en diamants aussi. Celle-là, comme la plaque, venait de madame Henriette.

— Monsieur, dit-il en s’adressant au prêtre qui accompagnait Juxon, je garderai cette croix dans ma main jusqu’au dernier moment ; vous me la reprendrez quand je serai mort.

— Oui, sire, dit une voix qu’Athos reconnut pour celle d’Aramis.

Alors Charles, qui jusque-là s’était tenu la tête couverte, prit son chapeau et le jeta près de lui ; puis un à un il défit tous les boutons de son pourpoint, le dévêtit et le jeta près de son chapeau. Alors, comme il faisait froid, il demanda sa robe de chambre, qu’on lui donna.

Tous ces préparatifs avaient été faits avec un calme effrayant. On eût dit que le roi allait se coucher dans son lit et non dans son cercueil.

Enfin, relevant ses cheveux avec la main :

— Vous gêneront-ils, monsieur ? dit-il au bourreau. En ce cas on pourrait les retenir avec un cordon.

Charles accompagna ces paroles d’un regard qui semblait vouloir pénétrer sous le masque de l’inconnu. Ce regard si noble, si calme et si assuré força cet homme à détourner la tête. Mais derrière le regard profond du roi il trouva le regard ardent d’Aramis. Le roi voyant qu’il ne répondait pas, répéta sa question.

— Il suffira, répondit l’homme d’une voix sourde, que vous les écartiez sur le cou.

Le roi sépara ses cheveux avec les deux mains, et regardant le billot :

— Ce billot est bien bas, dit-il ; n’y en aurait-il point de plus élevé ?

— C’est le billot ordinaire, répondit l’homme masqué.

— Croyez-vous me couper la tête d’un seul coup ? demanda le roi.

— Je l’espère, répondit l’exécuteur.

Il y avait dans ces deux mots : Je l’espère, une si étrange intonation, que tout le monde frissonna excepté le roi.

— C’est bien, dit le roi ; et maintenant, bourreau, écoute.

L’homme masqué fit un pas vers le roi et s’appuya sur sa hache.

— Je ne veux pas que tu me surprennes, lui dit Charles. Je m’agenouillerai pour prier, alors ne frappe pas encore.

— Et quand frapperai-je ? demanda