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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/518

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excellent ami. Alors j’ai une petite entreprise à vous proposer, et que nous mettrons à exécution ensemble quand monsieur le comte sera parti, et dont l’idée m’est venue pendant que je regardais le spectacle que vous savez.

— Laquelle ? dit Porthos.

— C’est de savoir quel est cet homme masqué qui s’est offert si obligeamment pour couper le cou du roi.

— Un homme masqué ! s’écria Athos, vous n’avez donc pas laissé fuir le bourreau ?

— Le bourreau ? dit d’Artagnan, il est toujours dans la cave, où je présume qu’il dit deux mots aux bouteilles de notre hôte. Mais vous m’y faites penser…

Il alla à la porte.

— Mousqueton ! dit-il.

— Monsieur ? répondit une voix qui semblait sortir des profondeurs de la terre.

— Lâchez votre prisonnier, dit d’Artagnan, tout est fini.

— Mais, dit Athos, quel est donc le misérable qui a porté la main sur son roi ?

— Un bourreau amateur, qui, du reste, manie la hache avec facilité, car, ainsi qu’il l’espérait, dit Aramis, il ne lui a fallu qu’un coup.

— N’avez-vous point vu son visage ? demanda Athos.

— Il avait un masque, dit d’Artagnan.

— Mais vous qui étiez près de lui, Aramis ?

— Je n’ai vu qu’une barbe grisonnante qui passait sous le masque.

— C’est donc un homme d’un certain âge ? demanda Athos.

— Oh ! dit d’Artagnan, cela ne signifie rien. Quand on met un masque, on peut bien mettre une barbe.

— Je suis fâché de ne pas l’avoir suivi, dit Porthos.

— Eh bien ! mon cher Porthos, dit d’Artagnan, voilà justement l’idée qui m’est venue, à moi.

Athos comprit tout ; il se leva.

— Pardonne-moi, d’Artagnan, dit-il ; j’ai douté de Dieu, je pouvais bien douter de toi. Pardonne-moi, ami.

— Nous verrons cela tout à l’heure, dit d’Artagnan avec un demi-sourire.

— Eh bien ? dit Aramis.

— Eh bien, reprit d’Artagnan, tandis que je regardais, non pas le roi, comme le pense monsieur le comte, car je sais ce que c’est qu’un homme qui va mourir, et, quoique je dusse être habitué à ces sortes de choses, elles me font toujours mal, mais bien le bourreau masqué, cette idée me vint, ainsi que je vous l’ai dit, de savoir qui il était. Or, comme nous avons l’habitude de nous compléter les uns par les autres, et de nous appeler à l’aide, comme on appelle sa seconde main au secours de la première, je regardai machinalement autour de moi pour voir si Porthos ne serait pas là ; car je vous avais reconnu près du roi, Aramis, et vous, comte, je savais que vous deviez être sous l’échafaud. Ce qui fait que je vous pardonne, ajouta-t-il en tendant la main à Athos, car vous avez bien dû souffrir. Je regardais donc autour de moi quand je vis à ma droite une tête qui avait été fendue, et qui, tant bien que mal, s’était raccommodée avec du taffetas noir. « Parbleu ! me dis-je, il me semble que voilà une couture de ma façon, et que j’ai recousu ce crâne-là quelque part. » En effet, c’était ce malheureux Écossais, le frère de Parry, vous savez, celui sur lequel Groslow s’est amusé à essayer ses forces, et qui n’avait plus qu’une moitié de tête quand nous le rencontrâmes.

— Parfaitement, dit Porthos, l’homme aux poules noires.

— Vous l’avez dit, lui-même ; il faisait des signes à un autre homme qui se trouvait à ma gauche ; je me retournai, et je reconnus l’honnête Grimaud, tout occupé comme moi à dévorer des yeux mon bourreau masqué.

— Oh ! lui fis-je. Or, comme cette syllabe est l’abréviation dont se sert M. le comte les jours où il lui parle, Grimaud comprit que