Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/540

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l’air, chargé de gros nuages qui roulaient au ciel, pareils à des vagues silencieuses.

Groslow repoussa la porte, que Mordaunt ferma en dedans, et, après avoir donné au matelot de garde l’ordre de veiller avec la plus grande attention, il descendit dans sa barque, qui s’éloigna rapidement, écumant le flot de son double aviron.

Le vent était froid et la jetée déserte lorsque Groslow aborda à Greenwich : plusieurs barques venaient de partir à la marée pleine. Au moment où Groslow prit terre, il entendit comme un galop de chevaux sur le chemin pavé de galets.

— Oh ! oh ! dit-il, Mordaunt avait raison de me presser. Il n’y avait pas de temps à perdre ; les voici.

En effet, c’étaient nos amis ou plutôt leur avant-garde, composée de d’Artagnan et d’Athos. Arrivés en face de l’endroit où se tenait Groslow, ils s’arrêtèrent comme s’ils eussent deviné que celui à qui ils avaient affaire était là.

Athos mit pied à terre et déroula tranquillement un mouchoir dont les quatre coins étaient noués, et qu’il fit flotter au vent, tandis que d’Artagnan, toujours prudent, restait à demi penché sur son cheval, une main enfoncée dans les fontes.

Groslow, qui, dans le doute où il était que les cavaliers fussent bien ceux qu’il attendait, s’était accroupi derrière un de ces canons plantés dans le sol et qui servent à enrouler les câbles, se leva alors en voyant le signal convenu, et marcha droit aux gentilshommes. Il était tellement encapuchonné dans son caban qu’il était impossible de voir sa figure. D’ailleurs la nuit était si sombre que cette précaution était superflue.

Cependant l’œil perçant d’Athos devina, malgré l’obscurité, que ce n’était pas Roggers qui était devant lui.

— Que voulez-vous ? dit-il à Groslow en faisant un pas en arrière.

— Je veux vous dire, milord, répondit Groslow en affectant l’accent irlandais, que vous cherchez le patron Roggers, mais que vous le cherchez vainement.

— Comment cela ? demanda Athos.

— Parce que ce matin il est tombé d’un mât de hune et qu’il s’est cassé la jambe. Mais je suis son cousin ; il m’a conté toute l’affaire et m’a chargé de reconnaître pour lui et de conduire à sa place, partout où ils le désireraient, les gentilshommes qui m’apporteraient un mouchoir noué aux quatre coins comme celui que vous tenez à la main et comme celui que j’ai dans ma poche.

Et à ces mots, Groslow tira de sa poche le mouchoir qu’il avait déjà montré à Mordaunt.

— Est-ce tout ? demanda Athos.

— Non pas, milord ; car il y a encore soixante-quinze livres promises si je vous débarque sains et saufs à Boulogne ou sur tout autre point de la France que vous m’indiquerez.

— Que dites-vous de cela, d’Artagnan ? demanda Athos en français.

— Que dit-il d’abord ? répondit celui-ci.

— Ah ! c’est vrai, dit Athos ; j’oubliais que vous n’entendez pas l’anglais.

Et il redit à d’Artagnan la conversation qu’il venait d’avoir avec le patron.

— Cela me paraît assez vraisemblable, dit le Gascon.

— Et à moi aussi, répondit Athos.

— D’ailleurs, reprit d’Artagnan, si cet homme nous trompe, nous