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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/543

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— Oh ! dit d’Artagnan, trois, je commence à me rassurer. N’importe, pendant que vous vous installerez, moi, je vais faire un tour dans le bâtiment.

— Et moi, dit Porthos, je vais m’occuper du souper.

— Ce projet est beau et généreux, Porthos, mettez-le à exécution. Vous, Athos, prêtez-moi Grimaud, qui, dans la compagnie de son ami Parry a appris à baragouiner un peu d’anglais : il me servira d’interprète.

— Allez, Grimaud, dit Athos.

Une lanterne était sur le pont, d’Artagnan la souleva d’une main, prit un pistolet de l’autre et dit au patron :

Come.

C’était avec goddam tout ce qu’il avait pu retenir de la langue anglaise.

D’Artagnan gagna l’écoutille et descendit dans l’entre-pont.

L’entre-pont était divisé en trois compartiments : celui dans lequel d’Artagnan descendait et qui pouvait s’étendre du troisième mâtereau à l’extrémité de la poupe, et qui par conséquent était recouvert par le plancher de la chambre dans laquelle Athos, Porthos et Aramis se préparaient à passer la nuit ; le second, qui occupait le milieu du bâtiment, et qui était destiné au logement des domestiques ; le troisième qui s’allongeait sous la proue, c’est-à-dire sous la cabine improvisée par le capitaine et dans laquelle Mordaunt se trouvait caché.

— Oh ! oh ! dit d’Artagnan, descendant l’escalier de l’écoutille et se faisant précéder de sa lanterne, qu’il tenait étendue de toute la longueur du bras, que de tonneaux ! on dirait la caverne d’Ali-Baba.

Les Mille et une Nuits venaient d’être traduites pour la première fois et étaient fort à la mode à cette époque.

— Que dites-vous ? demanda en anglais le capitaine.

D’Artagnan comprit à l’intonation de la voix.

— Je désire savoir ce qu’il y a dans ces tonneaux, dit-il, en posant sa lanterne sur l’une des futailles.

Le patron fit un mouvement pour remonter à l’échelle, mais il se contint.

— Porto, répondit-il.

— Ah ! du vin de Porto ? dit d’Artagnan, c’est toujours une tranquillité, nous ne mourrons pas de soif.

Puis se retournant vers Groslow, qui essuyait sur son front de grosses gouttes de sueur :

— Et elles sont pleines ? demanda-t-il.

Grimaud traduisit la question.

— Les unes pleines, les autres vides, dit Groslow d’une voix dans laquelle, malgré ses efforts, se trahissait son inquiétude.

D’Artagnan frappa du doigt sur les tonneaux, reconnut cinq tonneaux pleins et les autres vides ; puis il introduisit, toujours à la grande terreur de l’Anglais, sa lanterne dans les intervalles des barriques, et, reconnaissant que ces intervalles étaient inoccupés :

— Allons, passons, dit-il, et il s’avança vers la porte qui donnait dans le second compartiment.

— Attendez, dit l’Anglais, qui était resté derrière, toujours en proie à cette émotion que nous avons indiquée. Attendez, c’est moi qui ai la clé de cette porte.

Et, passant rapidement devant d’Artagnan et Grimaud, il introduisit d’une main tremblante la clé dans la serrure et l’on se trouva dans le second compartiment, où Mousqueton et Blaisois s’apprêtaient à souper.