CHAPITRE LXXVI.
LE VIN DE PORTO.
u bout de dix minutes, les maîtres dormaient, mais il n’en était pas ainsi des valets affamés et surtout altérés. Blaisois et Mousqueton s’apprêtaient à préparer leur lit, qui consistait en une planche et une valise, tandis que, sur une table suspendue comme celle de la chambre voisine, se balançaient au roulis de la mer un pot de bière et trois verres.
— Maudit roulis ! disait Blaisois. Je sens que cela va me reprendre comme en venant. — Et n’avoir pour combattre le mal de mer, répondait Mousqueton, que du pain d’orge et du vin de houblon ! pouah ! — Mais votre bouteille d’osier, monsieur Mouston, demanda Blaisois, qui venait d’achever la préparation de sa couche et qui s’approchait en trébuchant de la table devant laquelle Mousqueton était déjà assis et où il parvint à s’asseoir ; mais votre bouteille d’osier, l’avez-vous perdue ? — Non pas, dit Mousqueton, mais Parry l’a gardée. Ces diables d’Écossais ont toujours soif. Et vous, Grimaud, demanda Mousqueton à son compagnon, qui venait de rentrer après avoir accompagné d’Artagnan dans sa tournée, avez-vous soif ? — Comme un Écossais, répondit laconiquement Grimaud.
Et il s’assit près de Blaisois et de Mousqueton, tira un carnet de sa poche et se mit à faire les comptes de la société, dont il était l’économe.
— Oh ! la la ! dit Blaisois, voilà mon cœur qui s’embrouille ! — S’il en est ainsi, dit Mousqueton d’un ton doctoral, prenez un peu de nourriture. — Vous appelez cela de la nourriture ? dit Blaisois en accompagnant d’une mine piteuse le doigt dédaigneux dont il montrait le pain d’orge et le pot de bière. — Blaisois, reprit Mousqueton, souvenez-vous que le pain est la vraie nourriture du Français ; encore le Français n’en a-t-il pas toujours ; demandez à Grimaud. — Oui, mais la bière, reprit Blaisois avec une promptitude qui faisait honneur à la vivacité de son esprit de répartie ; mais la bière, est-ce là sa vraie boisson ? — Pour ceci, dit Mousqueton, pris dans le dilemme et assez embarrassé d’y ré-