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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/548

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Mousqueton chercha un coin où les planches fussent disjointes, ce qu’il n’eut pas de peine à trouver, et se mit immédiatement à l’œuvre.

Blaisois le regardait faire avec une admiration mêlée d’impatience, hasardant de temps en temps sur la façon de faire sauter un clou ou de pratiquer une pesée des observations pleines d’intelligence et de lucidité.

Au bout d’un instant, Mousqueton avait fait sauter trois planches.

— Là, dit Blaisois.

Mousqueton était le contraire de la grenouille de la fable qui se croyait plus grosse qu’elle n’était. Malheureusement, s’il était parvenu à diminuer son nom d’un tiers, il n’en était pas de même de son ventre. Il essaya de passer par l’ouverture pratiquée et vit avec douleur qu’il lui faudrait encore enlever deux ou trois planches au moins pour que l’ouverture fût à sa taille. Il poussa un soupir et se retira pour se remettre à l’œuvre. Mais Grimaud, qui avait fini ses comptes, s’était levé, et, avec un intérêt profond pour l’opération qui s’exécutait, il s’était approché de ses deux compagnons et avait vu les efforts inutiles tentés par Mousqueton pour atteindre la terre promise.

— Moi, dit Grimaud.

Ce mot valait à lui seul tout un sonnet, qui vaut à lui seul, comme on le sait, tout un poëme… Mousqueton se retourna.

— Quoi ! vous ? demanda-t-il.

— Moi, je passerai.

— C’est vrai, dit Mousqueton en jetant un regard sur le corps long et mince de son ami, vous passerez vous, et même facilement.

— C’est juste ; il connaît les tonneaux pleins, dit Blaisois, puisqu’il a déjà été dans la cave avec M. le chevalier d’Artagnan. Laissez passer M. Grimaud, monsieur Mouston.

— J’y serais passé aussi bien que Grimaud, dit Mousqueton un peu piqué.

— Oui, mais ce serait plus long, et j’ai bien soif. Je sens mon cœur qui se barbouille de plus en plus.

— Passez donc, Grimaud, dit Mousqueton en donnant à celui qui allait tenter l’expédition à sa place le pot de bière et la vrille.

Rincez les verres, dit Grimaud.

Puis il fit un geste amical à Mousqueton, afin que celui-ci lui pardonnât d’achever une expédition si brillamment commencée par un autre, et comme une couleuvre, il se glissa par l’ouverture béante et disparut.

Blaisois semblait ravi en extase. De tous les exploits accomplis depuis leur arrivée en Angleterre par les hommes extraordinaires auxquels il avait le bonheur d’être adjoint, celui-là lui semblait sans contredit le plus miraculeux.

— Vous allez voir, dit alors Mousqueton en regardant Blaisois avec une supériorité à laquelle celui-ci n’essaya même point de se soustraire, vous allez voir, Blaisois, comment, nous autres anciens soldats, nous buvons quand nous avons soif.

— Le manteau, dit Grimaud au fond de la cave.

— C’est juste, dit Mousqueton.

— Que désire-t-il ? demanda Blaisois.

— Qu’on bouche l’ouverture avec un manteau.

— Pourquoi faire ? demande Blaisois.

— Innocent ! dit Mousqueton, et si quelqu’un entrait ?

— Ah ! c’est vrai ! s’écria Blaisois avec une admiration de plus en plus visible. Mais il n’y verra pas clair.

— Grimaud voit toujours clair, répondit Mousqueton, la nuit comme le jour.

— Il est bien heureux, dit Blaisois ; quand je n’ai pas de chandelle, je ne puis pas faire deux pas sans me cogner, moi.

— C’est que vous n’avez pas servi, dit Mousqueton ; sans cela vous auriez