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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/554

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— Vous avez Athos à votre gauche, dit-il, prévenez-le comme je vous ai prévenu.

Aramis réveilla facilement Athos, dont le sommeil était léger comme l’est ordinairement celui de toutes les natures fines et nerveuses ; mais on eut plus de difficulté pour réveiller Porthos. Il allait demander les causes et les raisons de cette interruption de son sommeil, qui lui paraissait fort déplaisante, lorsque d’Artagnan, pour toute explication, lui appliqua la main sur la bouche. Alors notre Gascon, allongeant ses bras et les ramenant à lui, enferma dans leur cercle les trois têtes de ses amis, de façon qu’elles se touchassent pour ainsi dire.

— Amis, dit-il, nous allons immédiatement quitter ce bateau, ou nous sommes tous morts.

— Bah ! dit Athos, encore ?

— Savez-vous quel était le capitaine du bâtiment ?

— Non.

— Le capitaine Groslow.

Un frémissement des trois mousquetaires apprit à d’Artagnan que son discours commençait à faire quelque impression sur ses amis.

— Groslow ! fit Aramis, diable !

— Qu’est-ce que c’est que cela, Groslow ? demanda Porthos, je ne me le rappelle plus.

— Celui qui a cassé la tête à Parry et qui s’apprête en ce moment à casser les nôtres.

— Oh ! oh !

— Et son lieutenant, savez-vous qui c’est ?

— Son lieutenant ? il n’en a pas, dit Athos. On n’a pas de lieutenant dans une felouque montée par quatre hommes.

— Oui, mais M. Groslow n’est pas un capitaine comme un autre ; il a un lieutenant, lui, et ce lieutenant est M. Mordaunt !

Cette fois ce fut plus qu’un frémissement parmi les mousquetaires, ce fut presque un cri. Ces hommes invincibles étaient soumis à l’influence mystérieuse et fatale qu’exerçait ce nom sur eux, et ressentaient de la terreur à l’entendre seulement prononcer.

— Que faire ? dit Athos.

— Nous emparer de la felouque, répondit Aramis.

— Et le tuer, dit Porthos.

— La felouque est minée, dit d’Artagnan. Ces tonneaux que j’ai pris pour des futailles pleines de Porto sont des tonneaux de poudre. Quand Mordaunt se verra découvert, il fera tout sauter, amis et ennemis, et ma foi c’est un monsieur de trop mauvaise compagnie pour que j’aie le désir de me présenter en sa société, soit au ciel, soit à l’enfer.

— Vous avez donc un plan ? demanda Athos.

— Oui.

— Lequel ?

— Avez-vous confiance en moi ?

— Ordonnez, dirent ensemble les trois mousquetaires.

— Eh bien, venez !

D’Artagnan alla à une fenêtre basse comme un dalot, mais qui suffisait pour donner passage à un homme ; il la fit glisser doucement sur sa charnière.

— Voilà le chemin, dit-il.

— Diable ! dit Aramis, il fait bien froid, cher ami !

— Restez, si vous voulez, ici, mais je vous préviens qu’il y fera trop chaud tout à l’heure.

— Mais nous ne pouvons gagner la terre à la nage !

— La chaloupe suit en laisse ; nous gagnerons la chaloupe et nous couperons la laisse. Voilà tout. Allons, Messieurs.

— Un instant, dit Athos. Les laquais ?

— Nous voici, dirent Mousqueton et Blaisois, que Grimaud avait été chercher pour concentrer toutes les forces dans la cabine, et qui, par l’écoutille, qui touchait presque à la porte, étaient entrés sans être vus.

Cependant les trois amis étaient restés immobiles devant le terrible spectacle que leur avait découvert d’Artagnan en soulevant le volet et qu’ils voyaient par cette étroite ouverture. En effet, quiconque a vu ce spectacle une fois sait que