Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/583

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Et Athos s’agenouillant devant la reine palpitante et glacée, tira de son sein, enfermés dans la même boîte, l’ordre en diamants qu’avant son départ la reine avait remis à lord de Winter, et l’anneau nuptial qu’avant sa mort Charles avait remis à Aramis ; depuis qu’il les avait reçus, ces deux objets n’avaient point quitté Athos. Il ouvrit la boîte et les tendit à la reine avec une muette et profonde douleur. La reine avança la main, saisit l’anneau, le porta convulsivement à ses lèvres, et sans pouvoir pousser un soupir, sans pouvoir articuler un sanglot, elle étendit les bras, pâlit et tomba sans connaissance dans ceux de ses femmes et de sa fille.

Athos baisa le bas de la robe de la malheureuse veuve, et se relevant avec une majesté qui fit sur les assistants une impression profonde :

— Moi, comte de la Fère, dit-il, gentilhomme qui n’a jamais menti, je jure devant Dieu d’abord, et ensuite devant cette pauvre reine, que tout ce qu’il était possible de faire pour sauver le roi, nous l’avons fait sur le sol d’Angleterre… Maintenant, chevalier, ajouta-t-il en se tournant vers d’Herblay, partons, notre devoir est accompli.

— Pas encore, dit Aramis ; il nous reste un mot à dire à ces messieurs.

Et se retournant vers Châtillon :

— Monsieur, lui dit-il, ne vous plairait-il pas de sortir, ne fût-ce qu’un instant, pour entendre ce mot que je ne puis dire devant la reine ?

Châtillon s’inclina sans répondre en signe d’assentiment ; Athos et Aramis passèrent les premiers, Châtillon et Flamarens les suivirent ; ils traversèrent sans mot dire le vestibule ; puis arrivés à une terrasse de plain-pied avec une fenêtre, Aramis prit le chemin de cette terrasse, tout à fait solitaire ; à la fenêtre il s’arrêta, et se retournant vers le duc de Châtillon :

— Monsieur, lui dit-il, vous vous êtes permis tout à l’heure, ce me semble, de nous traiter bien cavalièrement. Cela n’était point convenable en aucun cas, moins encore de la part de gens qui venaient apporter à la reine le message d’un menteur.

— Monsieur ! s’écria Châtillon.

— Qu’avez-vous donc fait de M. de Bruy ? demanda ironiquement Aramis. Ne serait-il point par hasard allé changer sa figure qui ressemble trop à celle de M. Mazarin ? On sait qu’il y a au Palais-Royal bon nombre de masques italiens de rechange, depuis celui d’Arlequin jusqu’à celui de Pantalon.

— Mais, vous nous provoquez, je crois ? dit Flamarens.

— Ah ! vous ne faites que le croire, messieurs ?

— Chevalier ! chevalier ! dit Athos.

— Eh ! laissez-moi donc faire, dit Aramis avec humeur, vous savez bien que je n’aime pas les choses qui restent en chemin.

— Achevez donc, monsieur, dit Châtillon avec une hauteur qui ne le cédait en rien à celle d’Aramis.

Aramis s’inclina.

— Messieurs, dit-il, un autre que moi ou M. le comte de la Fère, vous ferait arrêter, car nous avons quelques amis à Paris ; mais nous vous offrons un moyen de partir sans être inquiétés. Venez causer cinq minutes l’épée à la main avec nous sur cette terrasse abandonnée.

— Volontiers, dit Châtillon.

— Un moment, messieurs, s’écria Flamarens. Je sais bien que la proposition est tentante, mais à cette heure il nous est impossible de l’accepter.

— Et pourquoi cela ? dit Aramis de son ton goguenard ; est-ce donc le voisinage de Mazarin qui vous rend si prudents ?

— Oh ! vous entendez, Flamarens, dit Châtillon, ne pas répondre se-