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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/584

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rait une tache à mon nom et à mon honneur.

— C’est mon avis, dit froidement Aramis.

— Vous ne répondrez pas, cependant, et ces messieurs tout à l’heure seront, j’en suis sûr, de mon avis.

Aramis secoua la tête avec un geste d’incroyable insolence.

Châtillon vit ce geste et porta la main à son épée.

— Duc, dit Flamarens, vous oubliez que demain vous commandez une expédition de la plus haute importance, et que, désigné par M. le Prince, agréé par la reine, jusqu’à demain soir vous ne vous appartenez pas.

— Soit ! À après-demain matin donc, dit Aramis.

— À après-demain matin, dit Châtillon, c’est bien long, messieurs.

— Ce n’est pas moi, dit Aramis, qui fixe ce terme, et qui demande ce délai, d’autant plus, ce me semble, ajouta-t-il, qu’on pourrait se retrouver à cette expédition.

— Oui, monsieur, vous avez raison, s’écria Châtillon, et avec grand plaisir, si vous voulez prendre la peine de venir jusqu’aux portes de Charenton.

— Comment donc, monsieur, pour avoir l’honneur de vous rencontrer, j’irais au bout du monde, à plus forte raison ferai-je dans ce but une ou deux lieues.

— Eh bien ! à demain, monsieur.

— J’y compte. Allez-vous-en donc rejoindre votre cardinal. Mais auparavant, jurez sur l’honneur que vous ne le préviendrez pas de notre retour.

— Des conditions ?

— Pourquoi pas ? dit Aramis.

— Parce que c’est aux vainqueurs à en faire, et que vous ne l’êtes pas, messieurs.

— Alors, dégainons sur-le-champ. Cela nous est égal à nous, qui ne commandons pas l’expédition de demain.

Châtillon et Flamarens se regardèrent ; il y avait tant d’ironie dans la parole et dans le geste d’Aramis, que Châtillon surtout avait grand’peine de tenir en bride sa colère. Mais sur un mot de Flamarens, il se contint.

— Eh bien ! soit, dit-il, notre compagnon, quel qu’il soit, ne saura rien de ce qui s’est passé. Mais vous me promettez bien, monsieur, de vous trouver demain à Charenton, n’est-ce pas ?

— Ah ! dit Aramis, soyez tranquilles, messieurs.

Les quatre gentilshommes se saluèrent, mais cette fois ce furent Châtillon et Flamarens qui sortirent du Louvre les premiers, et Athos et Aramis qui les suivirent.

— À qui donc en avez-vous avec toute cette fureur, Aramis ? demanda Athos.

— Eh ! parbleu ! j’en ai à ceux à qui je m’en suis pris.

— Que vous ont-ils donc fait ?

— Ils m’ont fait… Vous n’avez donc pas vu ?

— Non.

— Ils ont ricané quand nous avons juré que nous avions fait notre devoir en Angleterre. Or, ils l’ont cru ou ne l’ont pas cru ; s’ils l’ont cru, c’était pour nous insulter qu’ils ricanaient ; s’ils ne l’ont pas cru, ils nous insultaient encore, et il est urgent de leur prouver que nous sommes bons à quelque chose. Au reste, je ne suis pas fâché qu’ils aient remis la chose à demain, je crois que nous avons ce soir quelque chose de mieux à faire que de tirer l’épée.

— Qu’avons-nous à faire ?

— Eh ! pardieu ! nous avons à faire prendre le Mazarin.

Athos allongea dédaigneusement les lèvres.

— Ces expéditions ne me vont pas, vous le savez, Aramis.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’elles ressemblent à des surprises.

— En vérité, Athos, vous seriez un singulier général d’armée ; vous ne vous battriez qu’au grand jour ; vous feriez prévenir votre adversaire de l’heure à laquelle vous l’attaqueriez, et vous