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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/588

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persévérance cause en vérité notre admiration, à M. d’Herblay et à moi.

— Que voulez-vous, messieurs ! il faut bien, et vous en êtes un exemple, vous si braves et si dévoués, vous à qui mon cher collègue le duc de Beaufort doit la liberté et peut-être la vie, il faut bien se sacrifier à la chose publique. Aussi, vous le voyez, je me sacrifie ; mais, je l’avoue, je suis au bout de ma force. Le cœur est bon, la tête est bonne ; mais cette diable de goutte me tue, et j’avoue que si la cour faisait droit à mes demandes, demandes bien justes, puisque je ne fais que demander une indemnité promise par l’ancien cardinal lui-même lorsqu’on m’a enlevé ma principauté de Sédan ; oui, je l’avoue, si l’on me donnait des domaines de la même valeur, si l’on m’indemnisait de la non-jouissance de cette propriété depuis qu’elle m’a été enlevée, c’est-à-dire depuis huit ans ; si le titre de prince était accordé à ceux de ma maison, et si mon frère de Turenne était réintégré dans son commandement, je me retirerais immédiatement dans mes terres et laisserais la cour et le parlement s’arranger entre eux comme ils l’entendraient.

— Et vous auriez bien raison, monseigneur, dit Athos.

— C’est votre avis, n’est-ce pas, monsieur le comte de la Fère ?

— Tout à fait.

— Et à vous aussi, monsieur le chevalier d’Herblay ?

— Parfaitement.

— Eh bien ! je vous avoue, messieurs, reprit le duc, que selon toute probabilité, c’est celui que j’adopterai. La cour me fait des ouvertures en ce moment ; il ne tient qu’à moi de les accepter. Je les avais repoussées jusqu’à cette heure, mais puisque des hommes comme vous me disent que j’ai tort, et puisque surtout cette diable de goutte me met dans l’impossibilité de rendre aucun service à la cause parisienne, ma foi, j’ai bien envie de suivre votre conseil et d’accepter la proposition que vient de me faire M. de Châtillon.

— Acceptez, prince, dit Aramis, acceptez.

— Ma foi, oui. Je suis même fâché, ce soir, de l’avoir presque repoussée ; mais il y a conférence demain, et nous verrons.

Les deux amis saluèrent le duc.

— Allez, messieurs, leur dit celui-ci, allez, vous devez être bien fatigués du voyage. Pauvre roi Charles ! Mais enfin, il y a bien un peu de sa faute dans tout cela, et ce qui doit nous consoler c’est que la France n’a rien à se reprocher dans cette occasion, et qu’elle a fait tout ce qu’elle a pu pour le sauver.

— Oh ! quant à cela, dit Aramis, nous en sommes témoins. M. de Mazarin surtout…

— Eh bien ! voyez-vous, je suis bien aise que vous lui rendiez ce témoignage ; il a du bon au fond, le cardinal, et s’il n’était pas étranger… sûrement on lui rendrait justice. Aïe ! diable de goutte !

Athos et Aramis sortirent, mais jusque dans l’antichambre les cris de M. de Bouillon les accompagnèrent ; il était évident que le pauvre prince souffrait comme un damné.

Arrivé à la porte de la rue :

— Eh bien ! demanda Aramis à Athos, que pensez-vous ?

— De qui ?

— De M. de Bouillon, pardieu !

— Mon ami, j’en pense ce qu’en pense le triolet de notre guide, reprit Athos :

Ce pauvre monsieur de Bouillon
Est incommodé de la goutte…

— Aussi, dit Aramis, vous voyez que je ne lui ai pas soufflé mot de l’objet qui