Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/607

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ont été partis, j’ai trouvé ce fragment d’épée sur le champ de bataille en aidant à ramasser deux morts et cinq ou six blessés.

— Et à eux, demanda Aramis, ne leur est-il rien arrivé ?

— Non, monsieur, je ne crois pas.

— Allons, dit Aramis, c’est toujours une consolation.

— Et savez-vous où on les a conduits ? demanda Athos.

— Du côté de Louvres.

— Laissons Blaisois et Grimaud ici, dit Athos ; ils reviendront demain à Paris avec les deux chevaux, qui aujourd’hui nous laisseraient en route, et prenons la poste.

— Prenons la poste, dit Aramis.

On envoya chercher des chevaux. Pendant ce temps, les deux amis dînèrent à la hâte ; ils voulaient, s’ils trouvaient à Louvres quelques renseignements, pouvoir continuer leur route.

Ils arrivèrent à Louvres. Il n’y avait qu’une auberge. On y buvait une liqueur qui a conservé de nos jours sa réputation et qui s’y fabriquait déjà à cette époque.

— Descendons ici, dit Athos, d’Artagnan n’aura pas manqué cette occasion, non pas de boire un verre de liqueur, mais de nous laisser un indice.

Ils entrèrent et demandèrent deux verres de liqueur sur le comptoir, comme avaient dû les demander d’Artagnan et Porthos. Le comptoir sur lequel on buvait d’habitude était recouvert d’une plaque d’étain. Sur cette plaque on avait écrit avec la pointe d’une grosse épingle : Rueil, D.

— Ils sont à Rueil, dit Aramis, que cette inscription frappa le premier.

— Allons donc à Rueil, dit Athos.

— C’est nous jeter dans la gueule du loup, dit Aramis.

— Si j’eusse été l’ami de Jonas comme je suis celui de d’Artagnan, dit Athos, je l’eusse suivi jusque dans le ventre de la baleine, et vous en feriez autant que moi, Aramis.

— Décidément, mon cher comte, je crois que vous me faites meilleur que je ne suis. Si j’étais seul, je ne sais pas si j’irais ainsi à Rueil sans de grandes précautions ; mais où vous irez, j’irai.

Ils prirent des chevaux et partirent pour Rueil.

Athos, sans s’en douter, avait donné à Aramis le meilleur conseil qui pût être suivi. Les députés du parlement venaient d’arriver à Rueil pour ces fameuses conférences qui devaient durer trois semaines et amener cette paix boiteuse à la suite de laquelle M. le Prince fut arrêté. Rueil était encombré, de la part des Parisiens, d’avocats, de présidents, de conseillers, de robins de toute espèce, enfin, et de la part de la cour, de gentilshommes, d’officiers et de gardes. Il était donc facile, au milieu de cette confusion, de demeurer aussi inconnu qu’on désirait l’être. D’ailleurs, les conférences avaient amené une trêve, et arrêter deux gentilshommes en ce moment, fussent-ils frondeurs au premier chef, c’était porter atteinte au droit des gens.

Les deux amis croyaient tout le monde occupé de la pensée qui les tourmentait. Ils se mêlèrent aux groupes, croyant qu’ils entendraient dire quelque chose de d’Artagnan et de Porthos ; mais chacun n’était préoccupé que d’articles et d’amendements. Athos opinait pour qu’on allât droit au ministre.

— Mon ami, objecta Aramis, ce que vous dites là est bien beau, mais prenez-y garde, notre sécurité vient de notre obscurité. Si nous nous faisons connaître d’une façon ou d’une autre, nous irons immédiatement rejoindre nos amis dans quelque cul de basse-fosse d’où le diable ne nous tirera pas. Tâchons de ne pas les retrouver par accident, mais bien à notre fantaisie. Arrêtés à Com-