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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/611

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défendait, ce n’était ni par conviction ni par enthousiasme. Alors le cardinal se rejetait vers la reine, son seul appui. Mais à deux ou trois reprises il lui avait semblé sentir cet appui vaciller sous sa main.

L’heure de l’audience arrivée, on annonça au comte de la Fère qu’elle aurait toujours lieu, mais qu’il devait attendre quelques instants, la reine ayant conseil à tenir avec le ministre.

C’était la vérité. Paris venait d’envoyer une nouvelle députation qui devait tâcher de donner enfin quelque tournure aux affaires, et la reine se consultait avec Mazarin sur l’accueil à faire à ces députés.

La préoccupation était grande parmi les hauts personnages de l’état. Athos ne pouvait donc choisir un plus mauvais moment pour parler de ses amis, pauvres atomes perdus dans ce tourbillon déchaîné.

Mais Athos était un homme inflexible qui ne marchandait pas avec une décision précise, quand cette décision lui paraissait émanée de sa conscience et dictée par son devoir. Il insista pour être introduit, en disant que, quoiqu’il ne fût député ni de M. de Conti, ni de M. de Beaufort, ni de M. de Bouillon, ni de M. d’Elbeuf, ni du coadjuteur, ni de Mme de Longueville, ni de M. Broussel, ni du parlement, et qu’il vînt pour son propre compte il n’en avait pas moins les choses les plus importantes à dire à Sa Majesté.

La conférence finie, la reine le fit appeler dans son cabinet.

Athos fut introduit et se nomma. C’était un nom qui avait trop de fois retenti aux oreilles de Sa Majesté et trop de fois vibré dans son cœur, pour qu’Anne d’Autriche ne le reconnût point ; cependant elle demeura impassible, se contentant de regarder ce gentilhomme avec cette fixité qui n’est permise qu’aux femmes reines, soit par la beauté, soit par le rang.

— C’est donc un service que vous offrez de nous rendre, comte ? demanda Anne d’Autriche après un instant de silence.

— Oui, madame, encore un service, dit Athos, choqué de ce que la reine ne paraissait point le reconnaître.

C’était un grand cœur qu’Athos, et par conséquent un bien pauvre courtisan. Anne fronça le sourcil. Mazarin, qui, assis devant une table, feuilletait des papiers comme eût pu le faire un simple secrétaire d’état, leva la tête.

— Parlez, dit la reine.

Mazarin se remit à feuilleter ses papiers.

— Madame, reprit Athos, deux de nos amis, deux des plus intrépides serviteurs de Votre Majesté, M. d’Artagnan et M. du Vallon, envoyés en Angleterre par M. le cardinal, ont disparu tout à coup au moment où ils mettaient le pied sur la terre de France, et l’on ne sait ce qu’ils sont devenus.

— Eh bien ? dit la reine.

— Eh bien ! dit Athos, je m’adresse à la bienveillance de Votre Majesté pour savoir ce que sont devenus ces deux gentilshommes, me réservant, s’il le faut ensuite, de m’adresser à sa justice.

— Monsieur, répondit Anne d’Autriche avec cette hauteur qui vis-à-vis de certains hommes devenait de l’impertinence, voilà donc pourquoi vous nous troublez au milieu des préoccupations qui nous agitent ! Une affaire de police ! Eh ! monsieur, vous savez bien, ou vous devez bien le savoir, que nous n’avons plus de police depuis que nous ne sommes plus à Paris.

— Je crois que Votre Majesté, dit Athos en s’inclinant avec un froid respect, n’aurait pas besoin de s’informer à la police pour savoir ce que sont devenus MM. d’Artagnan