Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/612

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et du Vallon, et que si elle voulait bien interroger M. le cardinal à l’endroit de ces deux gentilshommes, M. le cardinal pourrait lui répondre sans interroger autre chose que ses propres souvenirs.

— Mais, Dieu me pardonne ! dit Anne d’Autriche avec ce dédaigneux mouvement des lèvres qui lui était particulier, je crois que vous interrogez vous-même.

— Oui, madame, et j’en ai presque le droit, car il s’agit de M. d’Artagnan, de M. d’Artagnan, entendez-vous bien, madame ? dit-il de manière à courber sous les souvenirs de la femme le front de la reine.

Mazarin comprit qu’il était temps de venir au secours d’Anne d’Autriche.

— Monsou le comte, dit-il, je veux bien vous apprendre une chose qu’ignore Sa Majesté, c’est ce que sont devenus ces deux gentilshommes. Ils ont désobéi et ils sont aux arrêts.

— Je supplie donc Votre Majesté, dit Athos toujours impassible, et sans répondre à Mazarin, de lever ces arrêts en faveur de MM. d’Artagnan et du Vallon.

— Ce que vous me demandez est une affaire de discipline et ne me regarde point, monsieur, répondit la reine.

— M. d’Artagnan n’a jamais répondu cela lorsqu’il s’est agi du service de Votre Majesté, dit Athos en saluant avec dignité.

Et il fit deux pas en arrière pour regagner la porte. Mazarin l’arrêta.

— Vous venez aussi d’Angleterre, monsieur ? dit-il en faisant un signe à la reine, qui pâlissait visiblement et s’apprêtait à donner un ordre rigoureux.

— Et j’ai assisté aux derniers moments du roi Charles Ier, dit Athos. Pauvre roi ! coupable tout au plus de faiblesse et que ses sujets ont puni trop sévèrement ; car les trônes sont bien ébranlés à cette heure, et il ne fait pas bon, pour les cœurs dévoués, de servir les intérêts des princes. C’était la seconde fois que M. d’Artagnan allait en Angleterre. La première, c’était pour l’honneur d’une grande reine ; la seconde, c’était pour la vie d’un grand roi.

— Monsieur, dit Anne d’Autriche à Mazarin avec un accent dont toute son habitude de dissimuler n’avait pu chasser la véritable expression, voyez si l’on peut faire quelque chose pour ces gentilshommes.

— Madame, dit Mazarin, je ferai tout ce qu’il plaira à Votre Majesté.

— Faites ce que demande M. le comte de la Fère. N’est-ce pas comme cela que vous vous appelez, Monsieur ?

— J’ai encore un autre nom, madame. Je me nomme Athos.

— Madame, dit Mazarin avec un sourire qui indiquait avec quelle facilité il comprenait à demi-mot, vous pouvez être tranquille, vos désirs seront accomplis.

— Vous avez entendu, monsieur ? dit la reine.

— Oui, madame, et je n’attendais rien moins de la justice de Votre Majesté. Ainsi, je vais revoir mes amis, n’est-ce pas, madame ? c’est bien ainsi que Votre Majesté l’entend ?

— Vous allez les revoir, oui, monsieur. Mais, à propos, vous êtes de la Fronde, n’est-ce pas ?

— Madame, je sers le roi.

— Oui, à votre manière.

— Ma manière est celle de tous les vrais gentilshommes, et je n’en connais pas deux, répondit Athos avec hauteur.

— Allez donc, monsieur, dit la reine en congédiant Athos du geste ; vous avez obtenu ce que vous désiriez obtenir et nous savons tout ce que nous désirions savoir.

Puis s’adressant à Mazarin, quand la portière fut retombée derrière lui :

— Cardinal, dit-elle, faites arrêter cet insolent gentilhomme avant qu’il soit sorti de la cour.

— J’y pensais, dit Mazarin, et je suis heureux que Votre Majesté me donne