Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/621

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rivant au château. Il supposait que Mazarin laisserait peut-être là son nouveau prisonnier dans le petit château fort, sentinelle qui gardait le pont et qu’un capitaine gouvernait pour la reine. Mais il n’en fut point ainsi. Athos passa Chatou à la suite du cardinal.

À l’embranchement du chemin de Paris à Rueil, Aramis se retourna. Cette fois ses prévisions ne l’avaient point trompé. Mazarin prit à droite, et Aramis put voir le prisonnier disparaître au tournant des arbres. Athos au même instant, mû par une pensée identique, regarda aussi en arrière. Les deux amis échangèrent un simple signe de tête et Aramis porta son doigt à son chapeau comme pour saluer. Athos seul comprit que son compagnon lui faisait signe qu’il avait une pensée.

Dix minutes après, Mazarin entrait avec sa suite dans la cour du château que le cardinal son prédécesseur avait fait disposer pour lui à Rueil. Au moment où il mettait pied à terre au bas du perron, Comminges s’approcha de lui.

— Monseigneur, demanda-t-il, où plairait-il à Votre Éminence que nous logions M. de la Fère ?

— Mais au pavillon de l’orangerie, en face du pavillon où est le poste. Je veux qu’on fasse honneur à M. le comte de la Fère, bien qu’il soit prisonnier de Sa Majesté la reine.

— Monseigneur, hasarda Comminges, il demande la faveur d’être conduit près de M. d’Artagnan, qui occupe, ainsi que Votre Éminence l’a ordonné, le pavillon de chasse en face de l’orangerie. Mazarin réfléchit un instant. Comminges vit qu’il se consultait.

— C’est un poste très fort, ajouta-t-il : quarante hommes sûrs, des soldats éprouvés, presque tous Allemands, et par conséquent n’ayant aucune relation avec les frondeurs ni aucun intérêt dans la Fronde.

— Si nous mettions ces trois hommes ensemble, monsou de Comminges, dit Mazarin, il nous faudrait doubler le poste et nous ne sommes pas assez riches en défenseurs pour faire de ces prodigalités-là.

Comminges sourit. Mazarin vit ce sourire et le comprit.

— Vous ne les connaissez pas, monsou de Comminges, mais moi je les connais, par eux-mêmes d’abord, puis par tradition. Je les avais chargés de porter secours au roi Charles, et ils ont fait pour le sauver des choses miraculeuses ; il a fallu que la destinée s’en mêlât pour que ce cher roi Charles ne soit pas à cette heure en sûreté au milieu de nous.

— Mais s’ils ont si bien servi Votre Éminence, pourquoi donc Votre Éminence les tient-elle en prison ?

— En prison ! dit Mazarin ; et depuis quand Rueil est-il une prison ?

— Depuis qu’il y a des prisonniers, dit Comminges.

— Ces messieurs ne sont pas mes prisonniers, Comminges, dit Mazarin en souriant de son rire narquois : ce sont mes hôtes ; hôtes si précieux, que j’ai fait griller les fenêtres et mettre des verroux aux portes des appartements qu’ils habitent, tant je crains qu’ils ne se lassent de me tenir compagnie. Mais tant il y a que, tout prisonniers qu’ils semblent être au premier abord, je les estime grandement ; et la preuve, c’est que je désire rendre visite à M. de la Fère pour causer avec lui en tête à tête. Donc, pour que nous ne soyons pas dérangés dans cette causerie, vous le conduirez, comme je vous l’ai déjà dit, dans le pavillon de l’orangerie ; vous savez que c’est ma promenade habituelle. Eh bien ! en faisant ma promenade j’entrerai chez lui, et nous causerons. Tout mon ennemi qu’on prétend qu’il est, j’ai de la sympa-