Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/622

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thie pour lui, et, s’il est raisonnable, peut-être en ferons-nous quelque chose.

Comminges s’inclina et revint vers Athos, qui attendait avec un calme apparent, mais avec une inquiétude réelle, le résultat de la conférence.

— Eh bien ? demanda-t-il au lieutenant des gardes.

— Monsieur, répondit Comminges, il paraît que c’est impossible.

— Monsieur de Comminges, dit Athos, j’ai toute ma vie été soldat : je sais donc ce que c’est qu’une consigne ; mais en dehors de cette consigne, vous pourriez me rendre un service.

— Je le veux de grand cœur, monsieur, répondit Comminges : depuis que je sais qui vous êtes et quels services vous avez rendus autrefois à Sa Majesté ; depuis que je sais combien vous touche ce jeune homme qui est si vaillamment venu à mon secours le jour de l’arrestation de ce vieux drôle de Broussel, je me déclare tout vôtre, sauf cependant la consigne.

— Merci, monsieur, je n’en désire pas davantage et je vais vous demander une chose qui ne vous compromettra aucunement.

— Si elle ne me compromet qu’un peu, monsieur, dit en souriant M. de Comminges, demandez toujours. Je n’aime pas beaucoup plus que vous M. Mazarini ; je sers la reine, ce qui m’entraîne tout naturellement à servir le cardinal ; mais je sers l’une avec joie et l’autre à contre-cœur. Parlez donc, je vous prie ; j’attends et j’écoute.

— Puisqu’il n’y a aucun inconvénient, dit Athos, que je sache que M. d’Artagnan est ici, il n’y en a pas davantage, je présume, à ce qu’il sache que j’y suis moi-même ?

— Je n’ai reçu aucun ordre à cet endroit, monsieur.

— Eh bien ! faites-moi donc le plaisir de lui présenter mes civilités et de lui dire que je suis son voisin. Vous lui annoncerez en même temps ce que vous m’annonciez tout à l’heure, c’est-à-dire que M. de Mazarin m’a placé dans le pavillon de l’orangerie pour me pouvoir faire visite, et vous lui direz que je profiterai de cet honneur qu’il me veut bien accorder, pour obtenir quelque adoucissement à notre captivité.

— Qui ne peut durer, ajouta Comminges ; M. le cardinal me le disait lui-même, il n’y a point ici de prison.

— Il y a les oubliettes, dit en souriant Athos.

— Oh ! ceci est autre chose, dit Comminges. Oui, je sais qu’il y a des traditions à ce sujet ; mais un homme de petite naissance comme l’est le cardinal, un Italien qui est venu chercher fortune en France, n’oserait se porter à de pareils excès envers des hommes comme nous ; ce serait une énormité. C’était bon du temps de l’autre cardinal, qui était un grand seigneur ; mais mons Mazarin ! allons donc ! les oubliettes sont vengeances royales et auxquelles ne doit pas toucher un pleutre comme lui. On sait votre arrestation, on saura bientôt celle de vos amis, monsieur, et toute la noblesse de France lui demanderait compte de votre disparition. Non, non, tranquillisez-vous, les oubliettes de Rueil sont devenues, depuis dix ans, des traditions à l’usage des enfants. Demeurez donc sans inquiétude à cet endroit. De mon côté, je préviendrai M. d’Artagnan de votre arrivée ici. Qui sait si dans quinze jours vous ne me rendrez pas quelque service analogue !

— Moi, monsieur ?

— Eh ! sans doute ; ne puis-je pas à mon tour être prisonnier de M. le coadjuteur ?

— Croyez bien que dans ce cas, monsieur, dit Athos en s’inclinant, je m’efforcerais de vous plaire.

— Me ferez-vous l’honneur de souper avec moi, monsieur le comte ? demanda Comminges.

— Merci, monsieur, je suis de sombre humeur et je vous ferais passer la soirée triste. Merci !

Comminges alors conduisit le comte dans une chambre du rez-de-chaussée