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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/628

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l’orangerie n’étaient pas bouchées, vous pourriez le voir de la place où vous êtes.

— Il rôde aux environs du château, pensa d’Artagnan. Puis tout haut :

— Vous l’avez rencontré à la chasse, dit-il, dans le parc peut-être ?

— Non pas, plus près, plus près encore. Tenez, derrière ce mur, dit Comminges en frappant contre le mur.

— Derrière ce mur ? Qu’y a-t-il donc, derrière ce mur ? On m’a amené ici de nuit, de sorte que le diable m’emporte si je sais où je suis.

— Eh bien ! dit Comminges, supposez une chose.

— Je supposerai tout ce que vous voudrez.

— Supposez qu’il y ait une fenêtre à ce mur.

— Eh bien ?

— Eh bien ! de cette fenêtre vous verriez M. de la Fère à la sienne.

— M. de la Fère est donc logé au château ?

— Oui.

— À quel titre !

— Au même titre que vous.

— Athos est prisonnier ?

— Vous savez bien, dit en riant Comminges, qu’il n’y a pas de prisonniers à Rueil, puisqu’il n’y a pas de prison.

— Ne jouons pas sur les mots, monsieur ; Athos a été arrêté ?

— Hier, à Saint-Germain, en sortant de chez la reine.

Les bras de d’Artagnan retombèrent inertes à son côté. On eût dit qu’il était foudroyé. La pâleur courut comme un nuage blanc sur son teint bruni, mais disparut presque aussitôt.

— Prisonnier ! répéta-t-il.

— Prisonnier ! répéta après lui Porthos abattu.

Tout à coup d’Artagnan releva la tête et on vit luire en ses yeux un éclair imperceptible pour Porthos lui-même. Puis, le même abattement qui l’avait précédé suivit cette fugitive lueur.

— Allons, allons, dit Comminges, qui avait un sentiment réel d’affection pour d’Artagnan depuis le service signalé que celui-ci lui avait rendu le jour de l’arrestation de Broussel en le tirant des mains des Parisiens : allons, ne vous désolez pas, je n’ai pas prétendu vous apporter une triste nouvelle, tant s’en faut. Par la guerre qui court, nous sommes tous des êtres incertains. Riez donc du hasard qui rapproche votre ami de vous et de M. du Vallon, au lieu de vous désespérer.

Mais cette invitation n’eut aucune influence sur d’Artagnan, qui conserva son air lugubre.

— Et quelle mine faisait-il ? demanda Porthos, qui, voyant que d’Artagnan laissait tomber la conversation, en profita pour placer son mot.

— Mais, fort bonne mine, dit Comminges. D’abord, comme vous, il avait paru assez désespéré ; mais quand il a su que M. le cardinal devait lui faire une visite ce soir même…

— Ah ! fit d’Artagnan, M. le cardinal doit faire visite au comte de la Fère ?

— Oui, il l’en a fait prévenir, et M. le comte de la Fère, en apprenant cette nouvelle, m’a chargé de vous dire, à vous, qu’il profiterait de cette faveur que lui faisait le cardinal pour plaider votre cause et la sienne.

— Ah ! ce cher comte ! dit d’Artagnan.

— Belle affaire, grogna Porthos, grande faveur ! Pardieu ! M. le comte de la Fère, dont la famille a été alliée aux Montmorency et aux Rohan, vaut bien M. de Mazarin.

— N’importe, dit d’Artagnan avec son ton le plus câlin, en y réfléchissant, mon cher du Vallon, c’est beaucoup d’honneur pour M. le comte de la Fère, c’est surtout beaucoup d’espérance à concevoir : une visite ! et même, à mon avis, c’est un honneur si grand pour un prisonnier, que je crois que M. de