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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/627

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je m’en plaindrai, soyez tranquille.

— Et puis quelquefois ma maison me manque ; il y a bien longtemps que je n’ai visité mes châteaux.

— Bah ! oubliez-les momentanément ; nous les retrouverons, à moins que M. de Mazarin ne les ait fait raser.

— Croyez-vous qu’il se soit permis cette tyrannie ? demanda Porthos avec inquiétude.

— Non ; c’était bon pour l’autre cardinal, ces résolutions-là. Le nôtre est trop mesquin pour risquer de pareilles choses.

— Vous me tranquillisez, d’Artagnan.

— Eh bien ! alors, faites bon visage comme je fais ; plaisantons avec les gardiens ; intéressons les soldats, puisque nous ne pouvons les corrompre ; cajolez-les plus que vous ne faites, Porthos, quand ils viendront sous nos barreaux. Jusqu’à présent vous n’avez fait que leur montrer le poing, et plus votre poing est respectable, Porthos, moins il est attirant. Ah ! je donnerais beaucoup pour avoir cinq cents louis seulement.

— Et moi aussi, dit Porthos, qui ne voulait pas demeurer en reste de générosité avec d’Artagnan, je donnerais bien… cent pistoles.

Les deux prisonniers en étaient là de leur conversation quand Comminges entra, précédé d’un sergent et de deux hommes qui portaient le souper dans une manne remplie de bassins et de plats.

— Bon ! dit Porthos, encore du mouton !

— Mon cher monsieur Comminges, dit d’Artagnan, vous saurez que mon ami, M. du Vallon, est décidé à se porter aux plus dures extrémités si M. de Mazarin s’obstine à le nourrir de cette sorte de viande.

— Je déclare même, dit Porthos, que je ne mangerai de rien autre chose si on ne l’emporte pas.

— Emportez le mouton, dit Comminges, je veux que M. du Vallon soupe agréablement, d’autant plus que j’ai à lui annoncer une nouvelle qui, j’en suis sûr, va lui donner de l’appétit.

— M. de Mazarin serait-il trépassé ? demanda Porthos.

— Non, j’ai même le regret de vous annoncer qu’il se porte à merveille.

— Tant pis ! dit Porthos.

— Et quelle est cette nouvelle ? demanda d’Artagnan. C’est du fruit si rare qu’une nouvelle en prison, que vous excuserez, je l’espère, mon impatience, n’est-ce pas, monsieur de Comminges ? d’autant plus que vous nous avez laissé entendre que la nouvelle était bonne.

— Seriez-vous aise de savoir que M. le comte de la Fère se porte bien ? répondit Comminges.

Les petits yeux de d’Artagnan s’ouvrirent démesurément.

— Si j’en serais aise, s’écria-t-il, j’en serais plus qu’aise, j’en serais heureux !

— Eh bien ! je suis chargé par lui-même de vous présenter tous ses compliments et de vous dire qu’il est en bonne santé.

D’Artagnan faillit bondir de joie. Un coup d’œil rapide traduisit à Porthos sa pensée : « Si Athos sait où nous sommes, disait ce regard, s’il nous fait parler, avant peu Athos agira. »

Porthos n’était pas très habile à comprendre les coups d’œil ; mais cette fois, comme il avait, au nom d’Athos, éprouvé la même impression que d’Artagnan, il comprit.

— Mais, demanda timidement le Gascon, M. le comte de la Fère, dites-vous, vous a chargé de tous ses compliments pour M. du Vallon et moi ?

— Oui, monsieur.

— Vous l’avez donc vu ?

— Sans doute.

— Où cela, sans indiscrétion ?

— Bien près d’ici, répondit Comminges en souriant.

— Bien près d’ici ! répéta d’Artagnan, dont les yeux étincelèrent.

— Si près, que si les fenêtres qui donnent dans