Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/639

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les portes sont fermées…

— Voilà une belle difficulté ! dit Porthos, et avec un coup d’épaule…

— Pour Dieu ! Porthos, mon ami, dit d’Artagnan, ménagez vos tours de force, ou ils n’auront plus, dans l’occasion, toute la valeur qu’ils méritent : n’avez-vous pas entendu qu’il va venir ici quelqu’un ?

— Si fait.

— Eh bien ! ce quelqu’un nous ouvrira les portes.

— Mais, mon cher, dit Porthos, si ce quelqu’un nous reconnaît, si ce quelqu’un en nous reconnaissant se met à crier, nous sommes perdus ; car enfin vous n’avez pas le dessein, j’imagine, de me faire assommer ou étrangler cet homme d’église. Ces manières-là sont bonnes envers les Anglais et les Allemands.

— Oh ! Dieu m’en préserve et vous aussi, dit d’Artagnan. Le jeune roi nous en aurait peut-être quelque reconnaissance ; mais la reine ne nous le pardonnerait pas, et c’est elle qu’il faut ménager ; puis d’ailleurs, du sang inutile, jamais ! au grand jamais ! J’ai mon plan. Laissez-moi donc faire et nous allons rire.

— Tant mieux, dit Porthos, j’en éprouve le besoin.

— Chut ! dit d’Artagnan, voici le quelqu’un annoncé.

On entendit alors dans la salle précédente, c’est-à-dire dans le vestibule, le retentissement d’un pas léger. Les gonds de la porte crièrent et un homme parut en habit de cavalier, enveloppé d’un manteau brun, un large feutre rabattu sur ses yeux et une lanterne à la main.

Porthos s’effaça contre la muraille, mais il ne put tellement se rendre invisible que l’homme au manteau ne l’aperçût ; il lui présenta sa lanterne et lui dit :

— Allumez la lampe du plafond.

Puis s’adressant à d’Artagnan :

— Vous savez la consigne ? dit-il.

Ia, répliqua le Gascon, déterminé à se borner à cet échantillon de la langue allemande.

Tedesco, fit le cavalier. Va bene.

Et s’avançant vers la porte située en face de celle par laquelle il était entré, il l’ouvrit et disparut derrière elle en la refermant.

— Et maintenant, dit Porthos, que ferons-nous ?

— Maintenant, nous nous servirons de votre épaule si cette porte est fermée, ami Porthos. Chaque chose en son temps, et tout vient à propos pour qui sait attendre. Mais d’abord barricadons la première porte d’une façon convenable, et ensuite nous suivrons le cavalier.

Les deux amis se mirent aussitôt à la besogne et embarrassèrent la porte de tous les meubles qui se trouvèrent dans la salle, embarras qui rendait le passage d’autant plus impraticable que la porte s’ouvrait en dedans.

— Là, dit d’Artagnan, nous voilà sûrs de ne pas être surpris par derrière. Allons en avant.

On arriva à la porte par laquelle avait disparu Mazarin ; elle était fermée ; d’Artagnan tenta inutilement de l’ouvrir.

— Voilà où il s’agit de placer votre coup d’épaule, dit d’Artagnan. Poussez, ami Porthos, mais doucement, sans bruit ; n’enfoncez rien, disjoignez les battants, voilà tout.

Porthos appuya sa robuste épaule contre un des panneaux, qui plia, et d’Artagnan introduisit alors la pointe de son épée entre le pêne et la gâche de la serrure. Le pêne, taillé en biseau, céda, et la porte s’ouvrit.

— Quand je vous disais, ami Porthos, qu’on obtenait tout des femmes et des