Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/640

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

portes en les prenant par la douceur.

— Le fait est, dit Porthos, que vous êtes un grand moraliste.

— Entrons, dit d’Artagnan.

Ils entrèrent. Derrière un vitrage, à la lueur de la lanterne du cardinal, posée à terre au milieu de la galerie, on voyait les orangers et les grenadiers du château de Rueil alignés en longues files formant une grande allée et deux allées latérales plus petites.

— Pas de cardinal ! dit d’Artagnan, mais sa lampe seule ; où diable est-il donc ?

Et comme il explorait une des ailes latérales après avoir fait signe à Porthos d’explorer l’autre, il vit tout à coup à sa gauche une caisse écartée de son rang, et, à la place de cette caisse un trou béant. Dix hommes eussent eu de la peine à faire mouvoir cette caisse, mais par un mécanisme quelconque, elle avait tourné avec la dalle qui la supportait.

D’Artagnan, comme nous l’avons dit, vit un trou à cette place, et dans ce trou les degrés d’un escalier tournant. Il appela Porthos de la main et lui montra le trou et les degrés.

Les deux hommes se regardèrent avec une mine effarée.

— Si nous ne voulions que de l’or, dit tout bas d’Artagnan, nous aurions trouvé notre affaire et nous serions riches à tout jamais.

— Comment cela ?

— Ne comprenez-vous pas, Porthos, qu’au bas de cet escalier est, selon toute probabilité, ce fameux trésor du cardinal, dont on parle tant, et que nous n’aurions qu’à descendre, vider une caisse, enfermer dedans le cardinal à double tour, nous en aller en emportant ce que nous pourrions traîner d’or, remettre à sa place cet oranger, et que personne au monde ne viendrait nous demander d’où nous vient notre fortune, pas même le cardinal ?

— Ce serait un beau coup pour des manants, dit Porthos, mais indigne, ce me semble, de deux gentilshommes.

— C’est mon avis, dit d’Artagnan ; aussi ai-je dit : Si nous ne voulions que de l’or, mais nous voulons autre chose.

Au même instant, et comme d’Artagnan penchait la tête vers le caveau pour écouter, un son métallique et sec comme celui d’un sac d’or qu’on remue vint frapper son oreille ; il tressaillit. Aussitôt une porte se referma, et les premiers reflets d’une lumière parurent dans l’escalier… Mazarin avait laissé sa lampe dans l’orangerie pour faire croire qu’il se promenait. Mais il avait une bougie de cire pour explorer son mystérieux coffre-fort.

— Hé ! dit-il en italien tandis qu’il remontait lentement les marches en examinant un sac de réaux à la panse arrondie ; hé ! voilà de quoi payer cinq conseillers au Parlement et deux généraux de Paris. Moi aussi je suis un grand capitaine ; seulement je fais la guerre à ma façon.

D’Artagnan et Porthos s’étaient tapis chacun dans une allée latérale, derrière une caisse, et attendaient.

Mazarin vint à trois pas de d’Artagnan pousser un ressort caché dans le mur. La dalle tourna, et l’oranger supporté par elle revint de lui-même prendre sa place… Alors le cardinal éteignit sa bougie, qu’il remit dans sa poche ; et reprenant sa lampe :

— Allons voir M. de la Fère, dit-il.

— Bon ! c’est notre chemin, pensa d’Artagnan ; nous irons ensemble.