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Tous trois se mirent en marche, M. de Mazarin suivant l’allée du milieu, et Porthos et d’Artagnan les allées parallèles. Ces deux derniers évitaient avec soin ces longues lignes lumineuses que traçait à chaque pas entre les caisses la lampe du cardinal.

Celui-ci arriva à une seconde porte vitrée sans s’être aperçu qu’il était suivi, le sable mou amortissant le bruit des pas de ses deux accompagnateurs. Puis il tourna sur la gauche, prit un corridor auquel Porthos et d’Artagnan n’avaient pas encore fait attention, mais au moment d’en ouvrir la porte, il s’arrêta pensif.

— Ah ! diavolo ! dit-il, j’oubliais la recommandation de Comminges. Il me faut prendre les soldats et les placer à cette porte, afin de ne pas me mettre à la merci de ce diable à quatre. Allons.

Et avec un mouvement d’impatience, il se retourna pour revenir sur ses pas.

— Ne vous donnez pas la peine, monseigneur, dit d’Artagnan le pied en avant, le feutre à la main et la figure gracieuse, nous avons suivi Votre Éminence pas à pas, et nous voici.

— Oui, nous voici, dit Porthos.

Et il fit le même geste d’agréable salutation.

Mazarin porta ses yeux effarés de l’un à l’autre, les reconnut tous deux, et laissa échapper sa lanterne en poussant un gémissement d’épouvante. D’Artagnan la ramassa ; par bonheur elle ne s’était pas éteinte dans la chute.

— Oh ! quelle imprudence, monseigneur, dit d’Artagnan ; il ne fait pas bon à aller ici sans lumière ; Votre Éminence pourrait se cogner contre quelque caisse ou tomber dans quelque trou…

— Monsieur d’Artagnan ! murmura Mazarin, qui ne pouvait revenir de son étonnement.

— Oui, monseigneur, moi-même, et j’ai l’honneur de vous présenter M. du Vallon, cet excellent ami à moi, auquel Votre Éminence a eu la bonté de s’intéresser si vivement autrefois.

Et d’Artagnan dirigea la lumière de la lampe vers le visage joyeux de Porthos, qui commençait à comprendre et qui en était tout fier.

— Vous alliez chez M. de la Fère, continua d’Artagnan. Que nous ne vous gênions pas, monseigneur. Veuillez nous montrer le chemin, et nous vous suivrons.

Mazarin reprenait peu à peu ses esprits.

— Y a-t-il longtemps que vous êtes dans l’orangerie, messieurs ? demanda-t-il d’une voix tremblante, en songeant à la visite qu’il venait de faire à son trésor.

Porthos ouvrit la bouche pour répondre, d’Artagnan lui fit un signe, et la bouche de Porthos demeurée muette se referma graduellement.

— Nous arrivons à l’instant même, monseigneur, dit d’Artagnan.

Mazarin respira : il ne craignait plus pour son trésor ; il ne craignait que pour lui-même. Une espèce de sourire passa sur ses lèvres.

— Allons, dit-il, vous m’avez pris au piége, messieurs, et je me déclare vaincu. Vous voulez me demander votre liberté, n’est-ce pas ? Je vous la donne.

— Oh ! monseigneur, dit d’Artagnan, vous êtes bien bon ; mais notre liberté, nous l’avons, et nous aimerions autant vous demander autre chose.

— Vous avez votre liberté ! dit Mazarin tout effrayé.

— Sans doute, et c’est au contraire vous,